Tour de France : des équipes en quête d’identité
Tour de France : des équipes en quête d’identité
Par Adrien Pécout (Moirans-en-Montagne, Jura)
D’un Tour à l’autre, les formations changent de noms comme de sponsors. De quoi perdre les spectateurs.
Alexis Vuillermoz, au départ de la 3e étape, lundi 4 juillet, à Granville (Manche). | Jeff Pachoud/AFP
Sous un cagnard à vous faire porter le premier bob distribué au passage de la caravane, Elodie a déjà réussi sa matinée. La collégienne a reçu un maillot dédicacé des mains du « meilleur » d’entre tous. Sur l’aire de Moirans-en-Montagne (Jura), le « meilleur » s’appelle Alexis Vuillermoz et s’habille en polyester. Le cycliste porte le tee-shirt bleu, marron et blanc de l’équipe AG2R-La Mondiale. « Il représente le secteur, il vient de Saint-Claude, embraie le père de l’adolescente, Michaël Marillier, spectateur lui aussi admiratif, lundi 18 juillet, au départ de la seizième étape. Ce matin, on vient spécialement pour lui, on a aussi pris une photo avec. »
A l’écart des spectateurs massés devant les bus de cyclistes, cet aveu paternel : « On s’identifie plus à un coureur qu’à une équipe. » Honnête. Lucide, aussi, sur les difficultés des vingt-deux équipes du Tour de France à se créer leur propre identité, leur propre communauté de supporteurs. Là où un supporteur de football encourage le club de sa ville, les fanas de vélo doivent se résigner au soutien d’une équipe dont le nom et les couleurs dépendent directement des marques qui les sponsorisent. Et peuvent donc changer en vertu des contrats de partenariat, plus ou moins précaires.
Un « club des supporteurs »… de 250 adhérents
Dans le cas de l’équipe d’Alexis Vuillermoz, il existe bien un « club des supporteurs ». Mais celui-ci compte bien moins de membres que les 64 000 personnes abonnées à son compte Twitter : seulement 250 adhérents. Pour la cotisation, compter 25 euros en échange d’un tee-shirt qui reprend les couleurs de l’équipe, d’un stylo, d’un bloc-notes ou d’un bracelet. Age moyen ? « Une cinquantaine d’années », estime Andrine Rameau, leur responsable.
Ils ont du mérite. Car l’équipe a connu plusieurs identités. L’onglet « notre histoire » de son site Internet n’est pas de trop pour s’y retrouver. La formation apparaît en 1992 sous le nom de Chazal-Vanille et Mûre, maillot rose, jaune et turquoise. Puis devient Chazal-Vetta-MBK. Puis Petit Casino. Puis AG2R Prévoyance. Puis AG2R-La Mondiale, du nom de ce groupe parisien de protection sociale. Voilà pour la page de publicités.
Dans ce mouvement quasi perpétuel, un élément de stabilité : la société France Cyclisme, à Chambéry, structure sportive qui court depuis deux décennies sous les noms de ses sponsors successifs. Le fondateur de l’équipe en demeure, encore aujourd’hui, sa seule incarnation durable. « Quand nos supporteurs nous envoient des courriers, raconte Andrine Rameau, ils parlent de “l’équipe de Vincent Lavenu” [manageur de l’équipe depuis sa création, en 1992] ; ils adressent leurs félicitations à Vincent Lavenu. »
Dans les bureaux parisiens du sponsor principal, on s’active malgré tout pour que « l’équipe de Vincent » devienne aussi pour de bon celle d’AG2R-La Mondiale. Pendant le Tour, la firme offre près de 20 000 répliques de maillots aux spectateurs des bords de routes.
« Allez Cofidis »
Les quatre autres formations françaises ont aussi leurs filons, textiles ou non, pour tenter de se distinguer. Jeudi 14 juillet, sur la route qui mène au mont Ventoux (Vaucluse), l’équipe Cofidis a visiblement du soutien. A côté d’un camping-car, flotte le maillot rouge de la société nordiste de crédit. « Des gens de l’entreprise nous ont contactés pendant notre pique-nique sur une étape du Tour en 2010. Ils ont commencé à nous donner du matériel et à prendre notre adresse, expliquent Jean-Claude et Marie Le Brun, chauffeur routier et femme de ménage à la retraite. Alors, on s’est pris au jeu, on continue à afficher gratuitement leurs drapeaux au bord de la route. »
Le couple normand, supporteur au hasard, s’amuse surtout à lancer des « Allez Cofidis ». Faute d’en savoir plus, il est vrai, sur cette équipe dont ils acceptent pourtant de faire la réclame gratis : « On connaît juste le nom d’un ou deux coureurs… Comment ils s’appellent déjà ? [Daniel] Navarro et [Nacer] Bouhanni. » Le second nommé, l’un des meilleurs sprinteurs français, a dû – manque de chance – déclarer forfait à seulement trois jours du Tour.
A chacun selon ses moyens. L’équipe FDJ a d’autres tickets à jouer. A Bourg-en-Bresse, les employés du bar-tabac-restaurant La Duchesse de Savoie arborent des maillots bleu-blanc-rouge fournis pour l’étape du dimanche 17 juillet, au départ de la préfecture de l’Ain. « La Française des jeux nous a fourni gratuitement des tee-shirts, des affiches. On n’est pas obligé de les mettre, mais je trouve ça convivial et puis, j’aime bien le vélo », justifie Michel Volland, responsable du commerce, entre deux commandes.
A l’échelle d’une équipe, la fibre régionale peut aussi avoir du bon. Ainsi de la formation Fortuneo-Vital Concept, qui s’appelait Bretagne-Séché Environnement l’an dernier, et qui s’efforce toujours de valoriser son ancrage local : « On distribue d’innombrables drapeaux bretons avec le logo de l’équipe, indique Emmanuel Hubert, manageur général. Et j’entends souvent des spectateurs crier “Allez les Bretons” sur notre route. »
Reste cependant une crainte : celle de devoir tout recommencer en cas de nouveau sponsor, et, donc, de nouveau nom. « Parfois, les partenaires, au bout de cinq, six ans ont fait le tour de la question sur le plan de la communication. » Ou même plus tôt.
Le Vendéen Jean-René Bernaudeau connaît le mécanisme. Le directeur sportif de Direct Energie (ex-Brioches La Boulangère, ex-Bouygues Telecom, ex-Europcar, publicité non exhaustive), « 8 millions d’euros de budget annuel », dans la fourchette basse du peloton, refuse de révéler la durée de son partenariat actuel.
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