La bonne politique budgétaire de Bruxelles
La bonne politique budgétaire de Bruxelles
Editorial. La Commission européenne préconise de ne pas sanctionner l’Espagne et le Portugal, dont les déficits budgétaires dépassent, pour 2015, les 3% requis.
Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, le 15 juilllet à Oulan-Bator, en Mongolie. | Wu Hong/POOL / REUTERS
Editorial du « Monde ». Avec une grande sagesse politique, la Commission de Bruxelles a recommandé, mercredi 27 juillet, que ni l’Espagne ni le Portugal ne fassent l’objet de sanctions pour dérapage budgétaire. Ce n’est pas seulement une affaire européenne. Dans le monde occidental, en matière de politique économique, l’air du temps est en train de changer. L’obsession de la réduction de la dette s’amenuise. L’arme budgétaire – l’investissement public – est réhabilitée. C’est une bonne chose.
Avec des déficits budgétaires situés à 5,1 % pour l’Espagne et 4,4 % pour le Portugal pour l’année 2015 – au lieu des 3 % requis par le pacte de stabilité et de croissance –, Lisbonne et Madrid faisaient l’objet d’une procédure de sanction. Ils risquaient une amende, peut-être aussi une baisse des fonds structurels qu’ils reçoivent de l’Europe. Mais la Commission, qui sera suivie par les gouvernements, a décidé d’interpréter les règles avec souplesse : pas d’amende à l’encontre des contrevenants et des délais allongés pour ramener leur déficit dans les clous.
Le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, est le contraire d’un politique dogmatique. En ces temps de Brexit, il sait la relative impopularité de l’Europe. Il connaît les efforts fournis par l’Espagne et le Portugal, dont les économies, fragiles, ont été dévastées par la crise de 2008. Il n’ignore pas non plus que le conservateur Mariano Rajoy peine à réunir une majorité à Madrid et que le gouvernement socialiste à Lisbonne a été élu contre l’austérité budgétaire. Enfin, l’un et l’autre pays ont procédé ces dernières années à d’importantes réformes de structure.
La Commission tire les leçons du passé. Au lendemain de la crise de 2008, l’ampleur de la dette souveraine, aux Etats-Unis et en Europe, mais plus sûrement encore dans les pays les plus mal gérés de la zone euro, a orienté les politiques économiques dans un seul sens : l’austérité budgétaire, avec, simultanément, la mise en place de réformes structurelles, particulièrement là où elles manquaient le plus. Hélas, il n’a pas fallu attendre longtemps pour comprendre que ce cocktail était éminemment récessif – Espagnols, Grecs et Portugais en savent quelque chose.
La pensée « dominante » évolue
Une discipline budgétaire excessive diminue le surcroît de demande dont la croissance a besoin ; les réformes de structure ne prennent pas effet avant cinq ou dix ans et, en attendant, ont souvent un effet récessif. Nombre d’économistes le disaient, notamment aux Etats-Unis, mais les marchés n’en continuaient pas moins à sanctionner durement les pays qui ne mettaient pas l’austérité budgétaire au centre de leur politique conjoncturelle. Le tabou de la dette régnait, largement imposé par la pensée économique allemande. Pour stimuler l’activité, il ne restait que la politique monétaire – baisse des taux et planche à billets.
L’air du temps, économique, change. La pensée « dominante » évolue. Elle constate que la politique monétaire ne peut pas tout. Elle observe que les réformes prennent du temps. Sans abandonner l’objectif de la réduction de la dette souveraine, elle redécouvre les mérites du coup de pouce budgétaire et de l’investissement public. Il faut faire les trois ensemble, recommande le Fonds monétaire international. Le niveau des taux d’intérêt doit inciter à l’investissement public d’infrastructure – la croissance de demain. On l’a compris à Washington, à Ottawa, à Londres et… à Bruxelles.