La France va-t-elle mettre fin au braconnage des ortolans ?
La France va-t-elle mettre fin au braconnage des ortolans ?
Par Nicolas Celnik
Bien que protégés depuis 1999, environ 30 000 bruants ortolans sont encore illégalement capturés dans le Sud-Ouest chaque année.
Ortolan piégé dans une matole | Ligue de Protection des Oiseaux (LPO)
C’est une lutte qui se joue chaque année en même temps que la rentrée des classes. D’un côté, des chasseurs qui revendiquent une pratique ancestrale et une tradition landaise. De l’autre, la Ligue de protection des oiseaux (LPO) qui dénonce une chasse illégale et dangereuse d’une espèce dont la population européenne a diminué de 84 % entre 1980 et 2012.
Le bruant ortolan, ou ortolan, est un passereau migrateur que l’on trouve en France principalement dans le Sud-Ouest. Chaque année, d’après une estimation calculée par la fédération départementale des chasseurs des Landes (FDC40), ce sont jusqu’à 30 000 de ces cousins du moineau qui sont capturés illégalement. La chasse des ortolans est pourtant interdite depuis 1979 par une directive européenne, et ils sont également classés espèce protégée depuis 1999. A ce titre, les braconniers encourent jusqu’à 15 000 euros d’amende et un an d’emprisonnement.
Après avoir été gavés pendant quatre mois jusqu’à quadrupler leur poids puis noyés dans de l’armagnac, ils sont revendus au marché noir à un prix pouvant atteindre 150 euros. « Ce sont entre 5 et 12 millions d’euros d’argent sale qui transitent en quelques semaines de gastronomes à braconniers ! », écrit Pierre Arthanaze, ancien président de l’Association pour la protection des animaux sauvages dans Le livre noir de la chasse (Le sang de la Terre, 2011).
Une chasse illégale officieusement tolérée
Le 16 juin, la Commission européenne a une nouvelle fois sommé la France « de mettre un terme au braconnage du bruant ortolan », lui laissant jusqu’au 15 août pour prouver que des mesures contre le braconnage ont été prises. La France a déjà été condamnée en 1988 pour la non-protection du passereau migrateur, en 1999 pour « mauvaise foi avérée » et a reçu une lettre de mise en demeure en 2013. Comment expliquer, alors, la pérennité de cette pratique ?
Selon la LPO, les contrevenants bénéficient d’une « tolérance officieuse » de la préfecture des Landes tant qu’ils ne posent pas plus de 30 matoles, les cages utilisées pour chasser le bruant - des pièges non sélectifs, qui capturent tant les bruants que les autres passereaux.
Pour Yves Verilhac, directeur général de la LPO, « la vraie question cette année, c’est de savoir si la France va enfin faire quelque chose ». A l’heure de la célébration des 40 ans de la loi de protection de la nature de 1976 et de la promulgation d’une loi pour la reconquête de la biodiversité en France, il déplore que rien ne soit fait pour répondre à la Commission européenne.
Contactés à ce sujet, le ministère de l’écologie et la préfecture des Landes n’ont pas souhaité répondre au Monde.
« Maintenir vivace un héritage unique »
Les chasseurs, de leur côté, n’en démordent pas : « Pour nous, déclare Régis Hargues, le directeur de la FDC40, c’est plus qu’une chasse traditionnelle : cela fait partie du patrimoine. La matole n’existe que dans le département des Landes. » Quant au braconnage, M. Hargues affirme qu’il n’est pas du ressort de la fédération d’empêcher chacun de « prendre ses responsabilités ».
Lors de l’assemblée générale de l’association départementale des chasses traditionnelles à la matole, le 5 août, les chasseurs ont une nouvelle fois déclaré qu’ils ne céderaient pas, rapporte le quotidien Sud Ouest.
Plusieurs demandes de dérogation pour obtenir le droit de chasser le bruant ont déjà été refusées. Pour obtenir une dérogation, il faudrait en effet que trois conditions soient réunies : que les opérations ne portent pas atteinte à l’état de l’espèce concernée, qu’il n’y ait pas d’autre solution ayant un moindre impact et que la méthode de chasse permette une prise sélective d’un nombre déterminé de spécimens.
Une étude scientifique attendue pour la fin 2016
A ce jour, aucun des trois critères n’a été scientifiquement confirmé. Dans une demande de dérogation déposée en 2014, la FDC40 faisait état d’un rapport publié par le chercheur canadien Keith Hobson indiquant que les passereaux chassés en France venaient de Russie, dont la population a un effectif très important, et pas du nord de l’Europe, dont il est établi que la population est plus faible et en déclin.
Cependant, M. Hobson estime que ses travaux ont été abusivement interprétés. La méthode utilisée, l’analyse d’isotopes stables que l’on retrouve dans les tissus vivants des oiseaux, ne permet en effet pas de connaître l’origine géographique des sujets étudiés, mais « est assurément mieux adaptée pour déterminer la latitude d’origine sur la plupart des continents », corrige le chercheur. Pour l’heure, impossible de dire si les bruants français proviennent de Moscou ou de Copenhague.
Une nouvelle étude, dirigée par le Museum national d’histoire naturelle et qui doit être publiée d’ici fin 2016, est attendue impatiemment par les deux partis. Elle s’appuie sur des données estimées plus fiables, le traçage GLS, qui permet de calculer une position à partir de la durée d’ensoleillement reçu par un capteur attaché à un oiseau, ainsi qu’une étude génétique de plusieurs spécimens.
Militants de la LPO comme chasseurs de la FDC40 sont convaincus que les données scientifiques leur donneront raison. D’ici là, la chasse aux bruants ortolans demeure illégale et la France s’expose aux sanctions de la Commission européenne en laissant le braconnage suivre son cours.