L’Afrique veut continuer de se développer, sans les conseils de l’Occident
L’Afrique veut continuer de se développer, sans les conseils de l’Occident
Par Joël Ruet
Joël Ruet décrypte la stratégie d’émancipation du continent, sous l’impulsion de plusieurs pays de l’Est, axée sur la diversification et l’industrialisation des économies.
Au 27e sommet de l’Union africaine (UA), qui s’est déroulé à Kigali les 17 et 18 juillet, une fois n’est pas coutume, n’était invités aucun des partenaires de l’UA : ni la France, ni les Etats-Unis, ni le Royaume-Uni, ni la Chine, ni l’Union européenne… Ce n’était ni un oubli ni une absence anecdotique, mais bien un signe de plus qu’une partie de l’Afrique souhaite se rassembler pour travailler à sa souveraineté économique.
En effet, deux visions s’opposent pour l’avenir du continent, dont l’une, largement allogène, est de plus en plus rejetée.
La chimère des ressources naturelles
Depuis une dizaine d’années que le monde développé a pris note que l’Afrique connaissait une croissance importante, la première de ces visions insiste, comme moteur de l’émergence, sur la transformation des ressources naturelles du continent par le continent, pour ensuite exporter ces matières transformées.
Sommet de l’UA : et pendant ce temps-là à Kigali… les chefs d’Etat dansent
Durée : 02:04
Malgré ses apparences de bienveillance, d’un gage concédé à la localisation de la valeur ajoutée, et de reconnaissance à mi-voix de l’échec de décennies de politiques d’exportation de matières premières, cette vision demeure en réalité une approche de commerce international « amélioré ». Elle reste pensée par et pour le marché mondial, non connectée aux plans nationaux ou s’imposant à ceux-ci. Cette vision a de nombreux partisans au Nord. Ils y voient un bon débouché à leurs technologies industrielles et à leurs services d’expertise, ainsi qu’une réponse à la Chinafrique et à son postulat « ressources brutes contre infrastructures ».
Les leaders africains, eux, la jugent « nécessaire mais pas suffisante ». Cette stratégie, si elle était développée seule, n’entraînerait pas le reste des économies nationales, qui font face à un boom démographique, elle raterait la révolution des technologies de l’information, et la transformation des campagnes serait trop lente. Cette vision se rapproche de celle qui a fait de l’Algérie un pays quasi failli, elle n’a pas eu la célérité attendue au Gabon, elle expose à la fragilité les pays pétro-dépendants, tels l’Angola ou le Nigeria d’avant l’alternance de 2015, où la chute du pétrole a annulé l’effet de tout un entreprenariat bien réel.
Le Rwanda, incubateur de nouvelles technologies
L’« agenda 2063 », adopté en 2013 par les chefs d’Etats de l’Union africaine à l’occasion des 50 ans de l’organisation, repose, quant à lui, sur la diversification économique interne via huit piliers mobilisant chacun « tous les segments de la société africaine pour travailler ensemble ».
Il s’appuie explicitement sur les résultats d’une expérience préalable purement africaine : le Nouveau partenariat pour le développement économique de l’Afrique (NEPAD). Ce n’est pas un hasard : ses premiers adeptes sont des pays disposant de peu ou d’aucune ressource naturelle, pétrole ou minerai, comme l’Ethiopie, qui s’industrialise depuis une décennie, ou le Rwanda qui se transforme en incubateur des technologies de l’innovation à destination du continent.
Au Nigeria, le nouveau président Muhammadu Buhari a de son côté lancé un budget axé sur la diversification économique hors pétrole, de l’industrie aux services. Et, avec lui, cette vision vient de gagner une recrue de poids. Un temps plus grande économie du continent, le pays, qui compte principalement sur ses revenus pétroliers, a vu son PIB chuter de plus de 6 % en 2014, à moins de 3 % en 2015.
Des modèles est-africains
Même si le Nigeria se mettait à les transformer sur place, les ressources naturelles seraient une base trop volatile. Le pays a d’ailleurs commandé à des consultants internationaux le rapport « Looking beyond oil » (« voir plus loin que le pétrole »). L’objectif ? Devenir la dixième économie mondiale en 2050 avec 6 300 milliards de dollars de PIB et une croissance de 6,6 %. Les leviers ? Les entrepreneurs, et 70 futurs champions répartis sur 18 industries, un modèle inspiré des « tigres » asiatiques. C’est cette seconde voie qui a été plébiscitée lors du sommet de Kigali. Dans la foulée de ces trois pays, le continent veut passer du plan à la mise en pratique.
La voie a été ouverte par l’Afrique de l’Est « qui avance » : Kenya, Rwanda et Tanzanie ont donné la priorité aux services, aux télécommunications et aux énergies renouvelables, mettant ces secteurs au service du développement rural et de l’inclusion territoriale. Et, sur ce dernier point, le Nigeria peut et doit s’améliorer. Ce grand pays fédéral a des Etats puissants et la corruption y demeure très forte. L’approche du nouveau gouvernement reste un pari, lequel doit être suivi de résultats pour ne pas rester au milieu du gué. On comprend que, pour fixer ce cap important dans un contexte international par ailleurs complexe, les dirigeants africains de cette seconde voie aient préféré se parler avec franchise, et donc entre eux, à Kigali.
Joël Ruet est économiste et président du cercle de réflexion The Bridge Tank.