Théâtre, nouvelles, films… Comment « Harry Potter » a survécu à sa fin
Théâtre, nouvelles, films… Comment « Harry Potter » a survécu à sa fin
Par Morgane Tual (texte), Quentin Hugon (infographie)
Trois recueils de nouvelles paraissent mardi sous forme d’e-books. Près de 10 ans après la publication du dernier tome des aventures de « Harry Potter », l’univers imaginé par J.K. Rowling ne cesse de se développer. Une tendance grandissante de la pop culture.
« Harry Potter, c’est terminé ». Samedi 30 juillet, à l’occasion de la première de la pièce Harry Potter et l’enfant maudit, la Britannique J. K. Rowling assurait en avoir fini avec le jeune sorcier. Mais certainement pas avec son univers. Au cours de la seule année 2016, trois importantes nouveautés sont venues enrichir ce monde créé en 1997. D’abord cette pièce de théâtre à Londres, narrant l’histoire du fils du héros, dix-neuf ans après la fin de l’histoire originale. Ensuite, la publication, le mardi 6 septembre, de trois recueils de nouvelles, Pottermore presents, sous forme d’e-books : ces textes, inédits ou non, apportent des éléments supplémentaires à ce monde. Enfin, sortira en novembre le premier volet de l’adaptation cinématographique des Animaux fantastiques, un ouvrage publié en 2001. Cette série de trois films racontera les aventures de Norbert Dragonneau, auteur fictif du livre, à New York en 1926.
Du passé au futur, de Londres à New York, sous forme de films, de livres, de pièce de théâtre, avec ou sans Harry… Il y a de quoi se perdre dans ce monde magique en perpétuelle expansion. A la manière des comics de Marvel ou DC, Harry Potter n’est plus seulement un personnage ou une histoire, mais un univers entier qui semble aujourd’hui pouvoir engendrer, à l’infini, de nouvelles œuvres et de nouveaux produits.
Le « canon », terme qui désigne la somme d’éléments officiels définissant une œuvre originale, est désormais éparpillé sur une quarantaine de supports. Livres, films, jeux vidéo, sites Internet et même parcs d’attractions : tous en font aujourd’hui partie, car chacun propose des éléments inédits de l’univers, conçus par J. K. Rowling elle-même. Pour mieux s’y retrouver, Le Monde a rassemblé dans une infographie les principaux éléments de ce canon.
(Suite de l’article plus bas)
Le « canon » du monde d’Harry Potter. | QUENTIN HUGON/« LE MONDE »
Se passer de Harry Potter
Le lancement d’une nouvelle trilogie de films se déroulant bien avant la naissance de Harry Potter marque une nouvelle étape dans le développement de cet univers : dorénavant, il devra pouvoir se passer du sorcier à lunettes. Une nouvelle marque, déposée en toute discrétion en mai dernier, vient d’ailleurs officialiser ce glissement : désormais, les nouveautés sont estampillées « J.K. Rowling’s Wizarding World » (« Le monde magique de J.K. Rowling »). Exit Harry Potter. Et ce n’est pas une mince affaire.
« Pour réussir cette mutation, il faut que le public apprenne à se passer de Harry Potter ; or tout le monde continue à utiliser le nom du personnage pour désigner l’univers », souligne Anne Besson, professeure en littérature comparée à l’université d’Artois. Avant de détailler :
« On se sépare de lui progressivement. Dans la pièce de théâtre, Harry Potter, devenu père, voit partir le Poudlard Express sans lui. Son histoire a déjà été vécue, le monde de Poudlard lui est désormais inaccessible, il est devenu adulte. Il passe le relais à une nouvelle génération, et c’est ce qui devrait idéalement se passer dans le public. »
Pour la chercheuse, les nouveautés de l’année liées à Harry Potter ressemblent surtout à une stratégie de marketing destinée à valoriser la sortie des Animaux fantastiques. « Le vrai enjeu commercial, c’est cette nouvelle trilogie. Il y a une espèce de campagne de promo assez maligne et assez longue, avec plein de petits événements, pour faire monter la sauce. » Mais, précise l’auteure de Constellations des mondes fictionnels dans l’imaginaire contemporain (CNRS éditions), cette logique se situe dans le prolongement de ce que J.K. Rowling a toujours fait.
Rendre le spectateur acteur
Trois parcs d’attraction plongent des visiteurs dans le monde de J. K. Rowling, comme ici à Los Angeles. | VALERIE MACON/AFP
Dès les débuts de Harry Potter, la romancière a choisi de ne pas se cantonner à l’espace des livres de la saga. Elle se lance par exemple, en 1998, dans la rédaction d’une newsletter intitulée La Gazette du Sorcier, qui fournit des informations supplémentaires sur l’univers. En 2001, deux livres dérivés, Le Quidditch à travers les âges et Les Animaux fantastiques, viennent encore enrichir ce monde. « Chez J.K. Rowling, il y a toujours eu une démarche du type “l’univers est plus large que ce que j’ai écrit, j’ai encore des choses à dire”, explique Anne Besson. C’est ce que font les fans quand ils écrivent des fanfictions. Sauf que lorsque c’est elle qui le fait, ça devient canon. »
La saga terminée, en livres comme au cinéma, de nouvelles propositions ont été faites immédiatement pour ne pas laisser les fans orphelins. « Comment on continue une histoire quand elle est terminée ? En en faisant un monde », souligne Anne Besson. Dès 2011, un nouveau site appelé Pottermore permet aux internautes de devenir un personnage de Poudlard et d’en apprendre plus sur l’univers du pensionnat des sorciers. En 2012, les studios où ont été tournés les films près de Londres deviennent un parc à thème. En 2012 et 2013, deux nouveaux jeux vidéo sont édités (Wonderbooks : book of spells et Wonderbooks : book of potions), contenant chacun des éléments inédits du monde de Harry Potter.
La promesse n’est plus tant de suivre les péripéties du sorcier que de passer du rôle de lecteur à celui d’acteur de l’univers. J.K. Rowling l’explique bien dans la vidéo de présentation de Pottermore : « C’est la même histoire, mais avec quelques ajouts cruciaux. Et le plus important, c’est vous. » La vidéo est d’ailleurs explicite : elle montre un livre qu’on feuillette, dont on se rapproche alors que les pages se transforment en portail qui s’ouvre, pour nous laisser entrer à l’intérieur du livre.
Pottermore 'Announcement' Trailer
Durée : 01:49
« Pottermore, comme les parcs d’attraction, proposent une immersion dans le monde ; ce qui représente une option très logique pour Harry Potter, estime Anne Besson. Le postulat de départ est qu’il s’agit d’un monde merveilleux qui double le nôtre, qui en est une version magique, enchantée. On a tous envie de faire partie de ce monde-là, on n’a pas envie d’être un moldu. »
« Internet favorise la construction d’univers »
Harry Potter est loin d’être le premier à développer son monde au-delà de l’œuvre initiale. Le Seigneur des Anneaux, Star Trek ou encore Star Wars ont fait office de pionniers dans la création d’univers étendus. Une tendance qui tend à se généraliser ces dernières années. Un scénariste hollywoodien anonyme, cité par le chercheur Henry Jenkins, résume bien ce nouveau paradigme :
« Quand j’ai commencé, il fallait pitcher une histoire parce que sans une bonne histoire, vous n’aviez pas de film. Plus tard, quand les suites ont commencé à décoller, vous deviez pitcher un personnage parce qu’un bon personnage pouvait générer plusieurs histoires. Et maintenant vous pitchez un monde, parce qu’un monde peut générer plusieurs personnages et plusieurs histoires déclinés sur plusieurs médias. »
Des fans de Harry Potter à Chennai, en Inde, posent avec leur exemplaire de « Harry Potter et l’enfant maudit », dont le script a été publié. | ARUN SANKAR/AFP
L’émergence d’Internet a, selon Anne Besson, joué un rôle dans le développement de la « franchisation » des œuvres, et notamment Harry Potter, qui arrivait à point nommé :
« Internet favorise la construction d’univers grâce à la navigation hypertexte, qui permet de créer des encyclopédies en ligne. Le monde peut devenir de plus en plus complexe, mais il y a toujours moyen de s’y retrouver, d’y naviguer de lien en lien, grâce à tout ce contenu d’aide créé par les fans. »
Car étendre un univers comporte un risque : celui de perdre les fans. « Les mondes de Marvel et de DC, par exemple, sont énormes, ils contiennent de nombreux sous-univers, mais ça finit par devenir ingérable », souligne Anne Besson. « C’est pour cela qu’ils font régulièrement des “reboots”. Ça permet de donner accès à de nouvelles générations qui n’avaient pas forcément suivi avant, qui sont perdues… Alors on recommence tout à zéro. »
« C’était mieux avant »
Le film « Les Animaux fantastiques » se déroulera à New York, en 1926. | JAAP BUITENDIJK/AP
Cela ne concerne pas, pour le moment, Harry Potter, un univers assez récent. Mais la multiplication des annonces pourrait compliquer la donne. Au risque, peut-être, de gâcher le tout ? « Parmi les fans, certains estiment que ça commence à faire beaucoup, explique Corentin Faniel, rédacteur en chef du fansite La Gazette du Sorcier. Ça en dégoûte parfois un peu, ils trouvent que c’est devenu trop marketing, que c’était mieux avant, aux débuts de la Pottermania. Mais en même temps, ça crée de nouveaux fans. » Le même phénomène a eu lieu avec les adaptations cinématographiques des œuvres de Tolkien et les nouveaux épisodes de Star Wars : de nombreux fans ont exprimé leur déception, mais ces franchises ont ainsi pu accéder à un tout nouveau public. Corentin Faniel, lui, assure « garder ses distances » avec les nouvelles œuvres dérivées de ses livres préférés :
« Ça ne peut pas gâcher l’ensemble, car je place ce que sort J.K. Rowling aujourd’hui au même niveau que certaines excellentes fanfictions. Dans le sens où ce que dit l’auteur après les sept livres n’a pas, pour moi, plus de valeur que l’interprétation d’un fan. »
Si 2016 leur apporte du grain à moudre, l’année prochaine ne devrait pas être de tout repos non plus pour J. K. Rowling et ses admirateurs : 2017 sonnera en effet les 20 ans de la publication du premier livre, ce qui donnera, bien entendu, lieu à de multiples événements. Et qui sait, peut-être à de nouvelles annonces.