Alstom : « Qu’on le veuille ou non, pour les trains, on était les meilleurs »
Alstom : « Qu’on le veuille ou non, pour les trains, on était les meilleurs »
Par Jean-Pierre Tenoux (Belfort, envoyé spécial)
Entre 1 700 et 2 500 personnes ont manifesté, jeudi 15 septembre, à Belfort, en soutien aux salariés menacés par la fermeture annoncée de l’usine d’Alstom.
Manifestation à Belfort pour le maintien d'Alstom
Durée : 02:13
Ce jeudi matin, le ciel à Belfort est à l’unisson. Gris, maussade, triste. Les premiers arrivés devant la Maison du peuple, d’où doit s’ébranler la manifestation, sont les syndicalistes. Avec leurs drapeaux, leurs vestes, leurs casquettes, militants FO, CGT, CFDT, CFTC se mélangent en oubliant leurs chapelles et querelles. Le mot d’ordre du jour, c’est : « Il faut sauver le site Alstom de Belfort » et chacun est le bienvenu, dès lors qu’il souscrit à ce credo. Le député et maire (Les Républicains), Damien Meslot, est là, avec le sénateur (LR) Cédric Perrin et quelques-uns des élus de sa majorité municipale. A gauche, le sénateur (PS) du Doubs, Martial Bourquin, maire de la commune voisine d’Audincourt, le député (PS) du Doubs, Frédéric Barbier, sont également présents. En regardant bien, il y a aussi tous ceux et celles qu’on ne voit pas, alors qu’on imaginait qu’ils viendraient. C’est notamment le cas de la présidente (PS) de la région Bourgogne-Franche-Comté, Marie-Guite Dufay, qui pourtant ne ménage pas ses efforts pour préserver le site de production.
Seulement voilà, le rassemblement est « mixte ». S’il a pour objectif de mettre en avant la mobilisation autour de ceux qu’ici on appelle les « Alsthommes », il s’inscrit également dans le cadre de la contestation de la loi travail de Myriam El Khomri. Impossible, ont jugé certains « grands élus » du PS, de cautionner cette ambiguïté. La plupart préfèrent revenir à la fin du mois, pour la journée « ville morte », politiquement moins connotée. Au fil des discussions, tandis qu’on attend un premier défilé de 700 personnes parties de l’usine Alstom – pour y retourner tous ensemble –, chacun avoue sa perplexité. Certes, à Belfort, on n’est pas aveugle. La mauvaise nouvelle était attendue, un jour ou l’autre. Mais pas comme ça, pas avec cette brutalité. L’avis général est que le groupe industriel a profité du récent achat, par la SNCF via sa filiale Akiem, de 44 locomotives de manœuvre, un très beau contrat de 140 millions d’euros, pour mettre les pouvoirs publics devant leurs responsabilités, sur air du genre : pas de commandes, pas de maintien des sites de production. « Chantage », « trahison », entend-on régulièrement dans la foule où l’on fustige aisément Alstom, connu « pour appeler régulièrement l’Etat au secours mais sans jamais renvoyer l’ascenseur ».
« C’est suicidaire »
Assez vite, le ton monte. Juchés sur un 4 x 4 de chantier bleu, les délégués syndicaux se succèdent au micro d’une sono antédiluvienne. Celui de la CFDT promet que « la direction nous trouvera en face chaque fois qu’elle menacera notre usine ». Son camarade de FO dénonce la logique des « profits » et exige « le maintien de tous les emplois sur le site ». Ils sont vigoureusement applaudis mais au fond, le cœur n’y est pas. Jean-Christophe et Arthur travaillent au bureau d’études de l’usine. Le premier a « 36 ans d’ancienneté », le second « 10 ans bientôt… enfin, j’espère ne pas en parler au passé », dit-il. Les deux hommes se sentent « dans l’œil du cyclone ». Jean-Christophe dénonce « les financiers qui font des chantages », La chefferie d’Alstom ne trouve pas grâce à leurs yeux. « Le groupe va fabriquer 1 600 machines pour l’Inde, elles seront produites sur place. S’il avait attribué 10 % de ce contrat à Belfort, on aurait tenu 5 ans, surtout que c’est les mêmes que pour le Kazakhstan, on connaît bien… », racontent-ils. « Le pire, c’est qu’on nous demande de transmettre notre savoir-faire aux Indiens, c’est suicidaire pour nous, c’est n’importe quoi… »
Pendant la manifestion de soutien aux salariés d’Alstom, à Belfort, le 15 septembre. | SEBASTIEN BOZON / AFP
Ce manque de « patriotisme industriel », tout le monde sur place le dénonce. Marie-José Fleury est commerçante, « entre Belfort et l’Alsace ». Elle a fait de la politique ici, autrefois. A gauche. Pour l’instant, c’est fini. « Belfort est l’une des villes les plus pauvres de France, avec un taux de chômage de 12 % ou 13 % », remarque-t-elle. « Aujourd’hui, à Alstom, ce sont les plus âgés et souvent les moins qualifiés qui restent. Ils ne pourront plus se reconvertir. Encore moins partir, puisqu’ils ont familles et maisons. Et puis, il y aura sûrement des conséquences pour l’université de technologie Belfort-Montbéliard, qui dispose d’un pôle transports. La section pourra-t-elle survivre à un départ de la production, avec laquelle elle travaille en collaboration ? Dans un contexte social dégradé, on risque une situation plus douloureuse encore… » A son côté, Jean-Claude Meuley opine. Lui est préretraité de France Télécom, parti « grâce à Hollande et à sa mesure pour les carrières longues ». Il est solidaire. « On perd tout ici, petit à petit, la recherche d’Alstom s’est envolée depuis longtemps, la technique s’en va par petits bouts… »
« Les patrons font la pluie et le beau temps »
Elles semblent être des copines inséparables. Maude Clavequin, vice-présidente (PS) de la région Bourgogne-Franche-Comté, et Salima Inezarene, conseillère régionale (PS), font « manif commune », préoccupées toutes les deux par l’avenir de Belfort, bien sûr, mais au-delà par le destin de tout le nord-est de la Franche-Comté, ce coin qu’on appelle l’Aire urbaine et qui s’étend en partie sur trois départements, le Territoire de Belfort, la région de Montbéliard dans le Doubs, celle d’Héricourt en Haute-Saône. Entre 350 000 et 260 000 habitants, selon le périmètre retenu. « Il faut une vraie volonté politique, construire une métropole, la solution ne surviendra pas au niveau d’une seule ville, il faut raisonner à cette échelle, dans un esprit de solidarité pour peser », affirment-elles. Arthur et Jean-Christophe, les deux techniciens, restent malgré tout pessimistes. « Après Belfort, ce sera dans deux ans le site de Reichshoffen qui fermera, puis celui d’Ornans », prédisent-ils, moral en berne.
Jean-Christophe évoque l’âge d’or d’Alstom, celui des locos mais aussi des turbines, du matériel pour l’industrie nucléaire, des communications avant l’aventure Alcatel. « Il y avait 8 500 salariés, maintenant on est 500… » Arthur, lui, pense à un couple, dont le mari travaillait pour Alstom à Paris, venu résider à Belfort voici peu. « Avec sa femme, ils ont voulu quitter la capitale, pour les enfants et le cadre de vie », explique-t-il. « Elle n’a pas encore retrouvé de boulot. Et lui, voilà son cadeau de bienvenue ! » Christian Tresch compatit. Solide gaillard moustachu, il a passé 43 ans de sa vie à la traction. « Fraiseur, j’usinais les châssis des locomotives », se souvient-il. « Ensuite, j’ai eu des soucis de santé et j’ai terminé contrôleur en 1997, j’avais 57 ans. J’ai connu le début des TGV. Qu’on le veuille ou non, pour les trains, on était les meilleurs. » Septuagénaire désormais, il a tenu à être présent comme nombre d’anciens, tout heureux – malgré tout – de se revoir. « Le cœur est resté à l’usine », sourit-il. « Je pense qu’ils vont trouver un moyen de reculer l’échéance jusqu’après la présidentielle, deux ans au mieux. Je ne crois pas du tout aux promesses des politiques. Les patrons font la pluie et le beau temps. »
Pendant la manifestion de soutien aux salariés d’Alstom, à Belfort, le 15 septembre. | SEBASTIEN BOZON / AFP
Le cortège s’ébranle, 1 700 personnes selon la police, 2 500 d’après les manifestants. « Tiens, l’écart n’est pas trop important, pour une fois », commente quelqu’un. Sur le trajet, Brune Lemerle, délégué CGT de PSA, est venu avec pas mal d’ouvriers et d’employés de l’usine de Sochaux, distante de 25 km, affirmer leur soutien. Lui non plus, ne comprend pas trop ce qu’il se passe, quel « jeu » joue Alstom. Comme chez tous les manifestants, ce sont les mots « chantage » et « pressions » qui lui viennent d’abord à l’esprit. « C’est du poker menteur ! », lance un barbu. « La faucheuse n’aura pas Alstom », a écrit un isolé sur la pancarte artisanale qu’il tient au bout de ses deux bras. « Non aux actionnaires gavés, non aux ouvriers licenciés », crache un mégaphone. Après avoir longé les bâtiments d’Alstom, le cortège fait étape devant les bureaux. La sono du 4 x 4 bleu n’en peut plus. « C’est le micro qui chauffe », indique son conducteur. Elle permet cependant à l’intersyndicale de remercier, de prévenir que « c’est la première manifestation mais pas la dernière », de saluer la population en l’espérant plus fournie la fois suivante. « Merci et à la prochaine ! », conclut l’orateur. C’est terminé. Sur le chemin du retour, deux salariés d’Alstom pénètrent dans « Le Jam », un bureau de tabac situé sur le trajet. Ils demandent l’un et l’autre une grille de Loto. « On ne sait jamais… », confie l’un. « Il vaut mieux un petit espoir que pas d’espoir du tout », conclut l’autre.
Alstom: "Le gouvernement savait mais il n'avait pas le temps de réagir"
Durée : 03:33