Le procès de la rixe de Sisco menacé de renvoi après une demande de dépaysement
Le procès de la rixe de Sisco menacé de renvoi après une demande de dépaysement
Par Antoine Albertini (Bastia, correspondant)
Des avocats estiment que l’audience de jeudi ne peut se tenir en Corse en raison de « tensions ».
La plage de Sisco en Corse, le 14 août. | PASCAL POCHARD-CASABIANCA / AFP
Prévu jeudi 15 septembre, le procès de cinq des protagonistes de la rixe de Sisco (Haute-Corse) devrait être renvoyé à une date ultérieure. Le temps pour la justice de se prononcer sur une demande de dépaysement formulée par Mes Philippe Ohayon et Ouadie Elhamamouchi, les avocats de Jamal Benhaddou, l’un des prévenus, accusé d’être à l’origine des incidents.
Le 13 août, une altercation entre des adolescents qui se baignaient sur une plage de Sisco, un village du littoral corse, et quatre frères d’une famille marocaine soupçonnés d’avoir voulu « privatiser » la plage où ils se baignaient avec femmes et enfants, avait dégénéré en une bagarre d’une extrême violence, impliquant une quarantaine de villageois appelés en renfort. Cinq personnes avaient été blessées, dont un habitant de Sisco, d’origine tchèque, blessé par un coup de fusil harpon.
« Contexte local »
Finalement, le tribunal doit juger trois des frères Benhaddou – Mustafa, Jamal et Abdelillah, âgés respectivement de 33, 29 et 38 ans – pour violences en réunion avec armes, et deux villageois, Lucien Straboni, 50 ans, et Pierre Baldi, 22 ans, pour violences en réunion. Lors d’une première audience, le 18 août, les deux hommes avaient été applaudis à la sortie du tribunal.
Le même jour, deux équipes de télévision de chaînes d’information en continu avaient été prises à partie et une manifestation spontanée dans les rues de Lupino, un quartier populaire de Bastia, avait vu quatre cents manifestants défiler aux cris de « On est chez nous ! »
« Il ne s’agit en aucun cas de jeter la suspicion sur les magistrats du tribunal correctionnel de Bastia, mais de réclamer une mesure qu’impose le contexte local de tensions », explique au Monde Me David Maheu, le conseil d’Abdelillah Benhaddou, pour justifier la demande de dépaysement. « Si cette demande apparaît tardive, ajoute-t-il, c’est parce que nous pensions que le procureur général prendrait cette mesure de sa propre initiative. »
Les avocats des deux Siscais poursuivis pour avoir donné un coup de pied et un coup de poing à deux frères Benhaddou ne veulent voir dans la « stratégie » de leurs confrères de la défense qu’un « artifice ». « Chacun espère faire de l’affaire ce qu’elle n’est pas en espérant le dérapage », notent Mes Rosa Prosperi et Marc-Antoine Luca.
Si les faits du 13 août eux-mêmes sont assez clairs pour Nicolas Bessone, procureur de la République à Bastia – une « tentative violente de privatisation de la plage de la part des Benhaddou, suivie d’une réaction disproportionnée de certains habitants de Sisco, sans islamisme ni xénophobie » –, l’affaire a suscité un vif émoi dans l’opinion.
« Encaisser les chèques »
La bagarre s’est aussi mélangée à la polémique née de l’interdiction du burkini dans plusieurs municipalités françaises, alors même qu’aucun des protagonistes n’en portait à Sisco – une confusion accrue par l’arrêté municipal prohibant le port ostentatoire de vêtements religieux pris peu après les faits par Ange-Pierre Vivoni, maire (Parti socialiste, PS) du village.
L’attente du procès suscite une effervescence à la hauteur des proportions prises par l’affaire. Le parti indépendantiste Corsica Libera a ainsi appelé au rassemblement, jeudi, devant les grilles du palais de justice de Bastia. Des dons au bénéfice de familles de Sisco sont parvenus de plusieurs régions françaises. « Les familles ont du créer une association pour encaisser les chèques et les reverser à une association caritative », explique un habitant du village.
L’intérêt médiatique dépasse les frontières françaises. « Nous avons même reçu des demandes d’entretien de la part de médias américains », explique Me Prosperi, qui estime que « la seule solution valable consistait à juger les faits en Corse et dans le temps de la comparution immédiate ». Un sentiment partagé par la section locale de la Ligue des droits de l’homme, selon laquelle « un dépaysement apparaîtrait comme une démission de la justice en Corse et une défiance à l’encontre de tous les citoyens de cette île ».