En Afrique aussi, les crispations sur les identités nationales peuvent mener au fascisme
En Afrique aussi, les crispations sur les identités nationales peuvent mener au fascisme
Par Hamidou Anne (chroniqueur Le Monde Afrique)
Notre chroniqueur met en garde les responsables politiques qui contestent la gabonité d’Ali Bongo ou l’ivoirité d’Alassane Ouattara à des fins purement électorales.
Un spectre hante l’Afrique : le fascisme ! L’excitation autour de la théorie selon laquelle Ali Bongo ne serait pas le fils d’Omar Bongo Ondimba va apparemment s’estomper avec les révélations du journal français Midi Libre. Ce débat, attisé depuis des années par l’opposition gabonaise jusqu’à en faire l’axe de sa précampagne électorale, doit nous interpeller car il procède d’une vague plus générale de diffusion de la question identitaire dans le paysage politique dans plusieurs pays africains.
Il faut reconnaître que lorsque ce débat est circonscrit strictement dans le champ de la confrontation politicienne, il a peu de chance d’aboutir face à une opinion publique peu manipulable et souvent plus responsable que sa classe politique. Au Gabon et au Bénin, l’opposition a cristallisé une bonne partie de sa campagne autour de la question identitaire. Cela n’a pas empêché les deux cibles des attaques d’avoir des scores honorables. Lionel Zinsou, victime d’attaques racistes intolérables n’avait perdu qu’au second tour face à une coalition de toute l’opposition réunie, et Ali Bongo a vraisemblablement fini deuxième d’une élection dont il a confisqué la victoire finale.
Concept d’ivoirité
Ces exemples montrent qu’une partie de la classe politique a beau tenter d’impliquer le peuple dans son délire identitaire et nationaliste, celui-ci garde une lucidité sur un sujet crucial et à haut risque.
Mais il y a danger lorsqu’un parti au pouvoir essaie de manipuler les lois et règlements d’un pays pour écarter un adversaire encombrant. Au-delà de la lâcheté du geste, il s’agit d’une instrumentalisation de la force publique avec très souvent une administration et une justice inféodées au régime en place. On se souvient du concept d’ivoirité en Côte d’Ivoire utilisé par Henry Konan Bédié dans les années 1990 pour ostraciser Alassane Ouattara l’empêchant de participer aux élections dans le pays. Le prétexte sera ensuite repris opportunément par Robert Gueï et Laurent Gbagbo contre le même Ouattara accusé d’avoir des origines douteuses et d’être indigne de concourir à la fonction suprême dans son pays.
Dans leur entreprise politicienne, les intellectuels et politiques théoriciens de l’ivoirité ont divisé leur pays et l’ont plongé dans une atroce guerre civile de près d’une décennie avec des milliers de vies perdues.
Des années plus tard, peu versé dans l’histoire et ses leçons à méditer, un ministre sénégalais a proposé qu’un citoyen binational renonce à sa seconde nationalité cinq ans avant le jour du scrutin pour pouvoir se présenter à la présidentielle.
Cette proposition visait clairement le fils de l’ancien président, Abdoulaye Wade, Karim, et l’ancien premier ministre Abdoul Mbaye, deux potentiels adversaires de Macky Sall à la présidentielle de 2019. Elle a été écartée finalement par le président de la République, même si la vigilance reste de mise, car rien n’empêche la majorité actuelle dans le pays de la réintroduire avant 2019.
Sédimentation de cultures
Irresponsable et inculte souvent, notre classe politique ne recule plus devant aucune ignominie pour arriver ou se maintenir au pouvoir, même par l’usage de méthodes nauséeuses capables de provoquer des victimes innocentes. La soif de pouvoir en vue d’une stricte jouissance et d’accaparement des ressources publiques justifie pour eux de contester la gabonité, l’ivoirité ou la sénégalité de tel ou tel autre adversaire. Rien ne les arrête.
Or, dans une époque de multiplication des mariages mixtes et d’une circulation quotidienne des idées à travers le monde, les sociétés gagnent à s’ouvrir à l’autre et à son apport fécondant. Ces ouvertures légueront au monde un Obama à la Maison Blanche ou un Sadiq Khan à la mairie de Londres ou encore un Haïdar El Ali ministre au Sénégal.
L’accès aux responsabilités des personnes issues de l’immigration en Afrique doit se généraliser pour aller dans le sens de l’Histoire ; c’est aussi notre chance face à une Europe engluée dans une triste période de résurgence d’un repli identitaire très fort.
Le salut est à chercher dans la place qu’un pays accorde à la diversité, en prenant conscience qu’une nation n’est point figée, mais qu’elle est le fruit de plusieurs décennies de sédimentations de cultures et d’emprunts de divers horizons. Considérer qu’un jeune Français nommé Mohamed issu de l’immigration algérienne a pour ancêtre Vercingétorix participe, de même que l’instrumentalisation de la question identitaire au Gabon, au Sénégal ou ailleurs sur le continent, à aller à rebours de l’Histoire. Et c’est défricher un dangereux itinéraire vers le fascisme.
Hamidou Anne est membre du cercle de réflexion L’Afrique des idées.