A Kapitan Andreevo, à la frontière entre la Bulgarie et la Turquie : policiers néerlandais et membres de la nouvelle Agence européenne de gardes-frontières, officiellement lancée jeudi 6 octobre. | DIMITAR DILKOFF / AFP

Editorial. C’est une avancée remarquable, par ces temps de doute européen : l’Union est, depuis le 6 octobre, dotée d’un véritable corps de gardes-côtes et gardes-frontières commun, qui aura le pouvoir et les moyens d’assurer la surveillance de ses frontières extérieures.

Autre fait remarquable, il aura fallu moins d’un an à la Commission pour mettre en œuvre cette proposition formulée en décembre, sous la pression des événements et de l’explosion des flux migratoires. L’agence Frontex, chargée jusqu’ici de la gestion des frontières européennes, était de toute évidence sous-dimensionnée ; dépendante de la bonne volonté individuelle des Etats pour la mise à disposition d’un navire ou même d’une douzaine de gardes-frontières lorsqu’il fallait venir en aide à la Grèce ou à l’Italie, elle était institutionnellement inadaptée au défi que présente, dans la durée, la pression migratoire vers l’Europe.

Le rôle et les moyens de la nouvelle Agence européenne de gardes-frontières, qui succède à Frontex et garde son siège à Varsovie, vont être considérablement accrus, sous la houlette du Français Fabrice Leggeri, qui a fait progresser ce dossier explosif sans tapage et avec efficacité. Ses effectifs vont doubler ; elle disposera d’un corps d’intervention rapide de 1 500 gardes-frontières, susceptibles d’être déployés dans les meilleurs délais à la demande d’un Etat membre en situation de crise sur les frontières extérieures de l’UE. Elle disposera également de son équipement propre, sans avoir à dépendre du bon vouloir des Etats.

Une réponse aux critiques du régime de Schengen

Enfin, elle pourra intervenir d’autorité, sur décision du Conseil européen, sur les frontières extérieures de l’UE dans un Etat membre qui n’en aura pas fait la demande, mais dont les difficultés à assurer la protection de sa frontière menacent l’Union. Dans cette éventualité, l’Etat membre concerné pourra refuser d’accueillir les gardes-frontières de l’Agence, mais il se placera alors automatiquement en dehors de l’espace Schengen.

Concrètement, cela veut dire que des gardes-frontières allemands, espagnols ou polonais peuvent intervenir au nom de l’UE pour aider la Grèce, l’Italie ou la Bulgarie à gérer une situation de crise sur les frontières extérieures de l’Union. Il s’agit donc bel et bien d’une étape historique dans la gestion commune des frontières de l’Europe : elle devrait répondre aux critiques du régime de Schengen, pour lesquels la libre circulation au sein de l’Union ne peut être assurée que si les frontières extérieures sont protégées.

Il reste que, pour historique qu’elle soit, cette avancée ne résoudra pas à elle seule la crise migratoire. L’autre volet du plan de Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, pour faire face à cette crise, est en panne. La solidarité européenne dans la répartition des réfugiés déjà arrivés sur le sol européen s’est effondrée. Les relocalisations sont au point mort, la réforme des règles de Dublin, qui prévoient le renvoi des migrants dans leur premier pays d’arrivée, est gelée. La dynamique des pays d’Europe centrale du groupe de Visegrad, les plus hostiles à l’immigration, l’a emporté.

Pour l’instant. Face à ce front du refus, Suédois, Finlandais, Grecs ou Italiens, en première ligne, lassés d’accueillir seuls les réfugiés, pourraient repasser à l’offensive. Il faut les soutenir. Les images insupportables des récents drames de la Méditerranée ne font qu’ajouter à l’urgence.