Quelle révolution se niche au creux de votre poche ? Depuis 2011, les propriétaires d’iPhone entretiennent une relation particulière avec l’assistant vocal Siri, que Nicolas Santolaria, journaliste indépendant – notamment pour Le Monde comme chroniqueur au supplément Epoque – s’attache à décrypter dans son livre.

Le célèbre logiciel y fait l’objet d’une dissection minutieuse de tous les aspects de son existence : de ses origines militaires à sa « personnalité », en passant par les émotions que ses utilisateurs lui confèrent ou ses liens avec la pop culture… Le découpage du livre en de nombreux sous-chapitres de trois ou quatre pages facilite la lecture et le passage d’une thématique à l’autre, de l’histoire des objets parlants à « la tentation de l’avatardisation de l’être ».

Car cet ouvrage tient moins de l’enquête qu’il revendique dans son titre que de l’essai philosophique, invoquant Jean Baudrillard, Michel Foucault ou encore Hannah Arendt. Pour interroger, entre autres, le rapport de domination entre l’utilisateur et l’objet, l’idéologie dont Siri peut être le vecteur ou encore la façon dont le logiciel s’inscrit dans les stéréotypes de genre.

Symbole de l’intelligence artificielle

Le propos est ponctué de nombreuses citations de Siri lui-même, mais aussi de penseurs, d’utilisateurs et de personnes ayant participé à son histoire. On regrette toutefois que l’auteur n’ait pas eu la chance d’échanger directement avec les créateurs de Siri ; le lecteur doit se contenter d’une compilation de citations et d’informations de seconde main, glanées au fil des années dans différents journaux. Très documenté et dense, le livre est parsemé d’anecdotes, qui concrétisent l’ensemble et permettent de naviguer entre la petite et la grande histoire, d’Alan Turing à l’idée lâchée dans le secret d’une réunion Apple.

On apprend par exemple que Siri était à l’origine surnommé « HAL », nom emprunté à l’intelligence artificielle déviante du film 2001, l’Odyssée de l’espace. Avec pour slogan « HAL est de retour – mais cette fois il est bon ». Ce rapport entre le bien et le mal, la fascination et la répulsion qu’engendre l’intelligence artificielle est largement développé.

L’auteur se risque à quelques hypothèses, suggérant que l’imperfection de Siri, pourtant lancé par une entreprise connue pour mettre sur le marché des produits parfaitement fonctionnels, serait « une manière de replacer l’humain dans une position dominante, ou tout du moins d’atténuer l’angoisse liée à la dimension concurrentielle de nos propres productions ».

Socle de réflexion historique et philosophique, cet ouvrage résume bien le tournant actuel qui s’opère dans le domaine de l’intelligence artificielle et de notre rapport à la machine. S’il risque de se périmer, à mesure que Siri s’améliore et que d’autres formes d’intelligence artificielle s’imposent dans notre quotidien, il restera le précieux témoin de ce basculement.

« Dis Siri ». Enquête sur le génie à l’intérieur du smartphone, par Nicolas Santolaria. Anamosa, 311 pages, 18,50 euros.