Areva veut solder toutes ses erreurs industrielles
Areva veut solder toutes ses erreurs industrielles
Par Jean-Michel Bezat
Le spécialiste du nucléaire va passer en revue les 9 000 dossiers de fabrication de son usine du Creusot dans le cadre de l’audit lancé à la suite de la détection de certaines anomalies.
Philippe Knoche, directeur général d’Areva, veut faire un audit complet de ses usines. | LIONEL BONAVENTURE / AFP
Areva veut purger ses erreurs industrielles passées pour regagner la confiance de ses clients ébranlée par les défaillances de sa démarche qualité dans son usine du Creusot (Saône-et-Loire). Le groupe nucléaire a décidé d’analyser tous les dossiers de fabrication de ce site, soit 9 200 dossiers – dont 6 000 concernent des pièces pour centrales nucléaires forgées entre 1965 et 2012. Il élargit ainsi l’audit lancé en 2015 – et limité à 400 dossiers « barrés », dont 230 nucléaires – à la suite de la détection d’anomalies dans le suivi des processus de fabrication et de contrôle de composants fabriqués au Creusot. « Certaines informations relatives au forgeage, au traitement thermique, aux essais mécaniques ou aux analyses chimiques n’étaient ainsi pas transmises au client de Creusot Forge et à l’ASN », regrette l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN).
Après avoir découvert en 2015 une concentration excessive de carbone dans le couvercle et le fond de la cuve de l’EPR de Flamanville (Manche), les équipes d’Areva avaient épluché 400 dossiers comportant des incohérences, des modifications ou des omissions. Ils ont mis à jour 87 irrégularités sur le parc en exploitation et 20 sur le projet de Flamanville. Areva et EDF ont néanmoins conclu que l’intégrité mécanique des pièces concernées (viroles…) n’était pas en jeu. EDF n’a donc pas été contraint d’arrêter de réacteurs.
A l’exception de Fessenheim 2 (Haut-Rhin), mis à l’arrêt depuis la mi-juin après la détection d’un problème sur le forgeage d’une virole d’un générateur de vapeur, un des principaux équipements (avec la cuve) de l’îlot nucléaire d’une centrale. Il ne redémarrera pas avant mars 2017, même si les « premiers tests sont très bons », assure Philippe Sasseigne, directeur du parc en exploitation d’EDF.
Plainte contre EDF et Areva
Greenpeace a annoncé, vendredi 14 octobre, qu’il avait porté plainte avec d’autres associations contre EDF et Areva à la suite de la détection de cette anomalie à Fessenheim. « Les associations demandent au procureur de la République de Paris d’ouvrir une enquête préliminaire sur quatre délits majeurs, dont usage de faux et mise en danger délibérée de la vie d’autrui », fait savoir l’ONG écologiste. La plainte mentionne aussi un délit d’utilisation d’un équipement à risques ne satisfaisant pas aux exigences essentielles de sécurité et la déclaration tardive de l’exploitant d’un incident risquant d’avoir des conséquences notables sur la sûreté de l’installation.
Cette revue des 400 dossiers faite, les ingénieurs d’Areva ont pris au hasard des dossiers « non barrés » pour savoir s’ils étaient, eux, conformes aux rapports de fin de fabrication adressés aux clients, que ce soit EDF et d’autres exploitants de centrales nucléaires dans le monde. Surprise, ils ont encore trouvé des « anomalies documentaires » ; ce qui les a décidés à éplucher l’ensemble des dossiers contenus dans les archives de Creusot Forge… depuis 1943 (et 1965 pour le nucléaire).
« On va relire tous les dossiers, un à un. Ce travail prendra des mois », a rapporté au Monde, jeudi 13 octobre, une source proche de l’entreprise. Au préalable, Areva doit s’entendre sur une méthodologie d’analyse avec EDF, exploitant les 58 réacteurs français, et l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), qui donne in fine son accord. La priorité sera, là encore, donnée aux dossiers concernant les réacteurs en exploitation.
Impact négatif sur le résultat d’exploitation
Selon cette source, « c’est le même type de pratiques que sur les dossiers barrés ». Chez Areva, on reconnaît que ces anomalies dans la tenue des dossiers sont « inacceptables » au regard des exigences de qualité d’un secteur aussi sensible que le nucléaire. On ajoute toutefois que la compétence technique des 200 salariés de Creusot Forge n’est pas en cause. « Les gars ont déconné en matière d’assurance qualité, mais ils s’y connaissaient », ajoute cet expert très au fait du dossier.
Il reste qu’il y a des incertitudes sur plusieurs générateurs de vapeur en service (Fessenheim 2, Bugey 4…) ou en fabrication (Gravelines 5). Ces arrêts de tranche pour vérifications, qui s’ajoutent à des visites décennales programmées de longue date et à des changements de gros composants en fin de vie, ont obligé EDF à revoir à la baisse (– 3 %) son objectif de production nucléaire (de 395 à 400 térawattheures). Cette baisse aura un impact négatif sur l’excédent brut d’exploitation (ebitda). Le groupe prévoit une reprise en 2017.
EDF a besoin que toute la lumière soit faite sur les pratiques d’Areva. Il doit en effet lui racheter pour 2,5 milliards d’euros sa filiale Areva NP et ses sites industriels de Creusot Forge, Chalon Saint-Marcel (Saône-et-Loire) et Jeumont (Nord). Les révélations sur les pratiques de Creusot Forge jusqu’en 2012 ont retardé l’opération, qui ne sera pas bouclée avant fin 2017.