Le gouverneur de la Banque d’Angleterre, Mark Carney, lundi 31 octobre, à Londres. | DANIEL LEAL-OLIVAS / AFP

Le tsunami politique déclenché au Royaume-Uni par le vote en faveur du Brexit a déferlé sur la Banque d’Angleterre (BoE). Depuis des mois, son gouverneur, Mark Carney, est accusé par les plus fervents « Brexiters » d’avoir joué un rôle politique. Son crime, selon eux, est d’être sorti de sa réserve de haut fonctionnaire et d’avoir pris fait et cause pour le maintien dans l’Union européenne (UE).

Ces critiques demandaient le départ de son poste de gouverneur dès 2018, quand son mandat initial s’achèverait. Face à eux, les soutiens de M. Carney, en tête desquels Philip Hammond, le chancelier de l’Echiquier, souhaitaient que celui-ci reste jusqu’à la limite maximum de 2021.

Lundi 31 octobre, un compromis a été trouvé. Après un rendez-vous de plus d’une heure et demie à Downing Street, M. Carney a annoncé qu’il partirait en juin 2019. Il sauve ainsi la face, en ne se pliant pas aux exigences des Brexiters. Théoriquement, cette date lui permet de rester à son poste jusqu’à la sortie effective du Royaume-Uni de l’UE, prévue pour le printemps 2019. « Cela devrait aider à contribuer à une transition ordonnée vers la nouvelle relation du Royaume-Uni avec l’Europe », explique-t-il dans une lettre adressée à M. Hammond.

M. Carney avance aussi des circonstances personnelles pour expliquer son départ. Le Canadien, qui a des enfants au collège et au lycée, avait, dès le début de son mandat, en 2013, affirmé qu’il ne l’étendrait pas au-delà de 2018. Récemment, il avait laissé planer le doute. Mais, lundi soir, il utilisait de nouveau sa situation familiale pour justifier son départ en 2019.

Attaque en règle

La bataille autour de M. Carney a été très virulente. Pendant la campagne du référendum du 23 juin, le gouverneur avait averti des risques économiques en cas de Brexit. Il avait même envisagé une possible « récession technique », deux trimestres d’affilée de contraction de l’activité, dans les mois qui suivraient le vote.

Ces prédictions se sont révélées excessivement pessimistes, du moins pour l’instant. La croissance britannique résiste, le produit intérieur brut a augmenté de 0,5 % au troisième trimestre.

Depuis, les Brexiters rêvent de se venger. Theresa May, lors de son discours, début octobre, devant le congrès annuel du parti conservateur, leur a fourni des munitions. « Si la politique monétaire, avec ses taux d’intérêt super-bas et le “quantitative easing” [QE, assouplissement quantitatif] a fourni le médicament d’urgence nécessaire après la crise financière, nous devons reconnaître ses effets négatifs. Les gens qui ont des actifs sont devenus plus riches. Ceux qui n’en ont pas ont souffert. (…) Il faut que cela change. »

« C’est un mauvais perdant »

Si elle est partagée par de nombreux analystes, cette attaque en règle a brisé un tabou politique : depuis l’indépendance de la BoE, en 1998, le gouvernement ne critique en principe pas directement la politique monétaire. Certains Brexiters se sont engouffrés dans la brèche. Michael Gove, l’un des leaders de la campagne pour sortir de l’UE, a recommandé à M. Carney « un peu d’humilité ».

Jacob Rees-Mogg, un député conservateur classé parmi les plus extrémistes des opposants à l’UE, a demandé sa démission. « A chaque occasion, il dit du mal de l’économie britannique et ne trouve que du négatif, ce qui n’est pas le boulot du gouverneur de la Banque d’Angleterre. Il ne semble pas vouloir accepter le résultat du référendum et tourner la page. C’est un mauvais perdant. »

Cette apparente remise en cause de l’indépendance de la BoE inquiète dans les milieux économiques. « Le Royaume-Uni fait face à une période très troublée qui va être exigeante pour tous les dirigeants, souligne Howard Archer, économiste à IHS Global Insight. Tirer à vue sur le gouverneur de la Banque d’Angleterre ou sembler remettre en question son indépendance n’aide pas. »

« Le patient zéro de la diffamation eurosceptique »

Prudente, Mme May a d’ailleurs reculé, en faisant tardivement connaître son soutien à M. Carney. Cet épisode illustre la dureté des règlements de compte en cours à la tête de l’Etat britannique.

Selon Janan Ganesh, éditorialiste au Financial Times, le sort qu’a connu le gouverneur de la BoE n’est qu’un coup de semonce. « M. Carney est le patient zéro de la diffamation eurosceptique : la première victime de la justice des vainqueurs, qui va se répandre aux autres personnes de la vie publique qui ont été gênantes pendant la campagne du référendum. »

Il estime que le prochain dans la ligne de mire pourrait être le chancelier de l’Echiquier, Philip Hammond, qui est aujourd’hui le plus ardent défenseur d’un « Brexit doux » au sein du gouvernement. Selon M. Ganesh, les « Brexiters » « sont aujourd’hui le pouvoir dans ce pays ». Les difficultés de M. Carney n’en sont qu’un premier exemple.