Le trucage des élections américaines, un mythe plus qu’une réalité
Le trucage des élections américaines, un mythe plus qu’une réalité
Par Pierre Bouvier
Les élections sont organisées par les Etats et les comtés et il est peu probable que ceux-là même qui les organisent en sabotent le déroulement.
Le candidat républicain Donald Trump en campagne, le 6 novembre. | CARLO ALLEGRI / REUTERS
Les élections truquées. C’est le fantasme de Donald Trump. Au creux de la vague au cours du mois d’octobre, il a usé et abusé du terme « rigged » (« truqué »), pour évoquer le processus électoral américain. Lors du troisième et dernier débat télévisé de la campagne, mercredi 19 octobre à Las Vegas, il a menacé de ne pas reconnaître le résultat des urnes, le 8 novembre, s’attirant au passage les foudres des cadres du Parti républicain.
Le hic, c’est que l’une des premières fraudes à l’élection présidentielle de 2016 a été commise par une électrice républicaine et supportrice de Donald Trump. Terri Lynn Rote, habitante de Des Moines, dans l’Iowa, a voté à deux reprises avant de se faire prendre. Pour justifier sa démarche, elle a expliqué à la Radio publique de l’Iowa (IPR) qu’elle avait agi de manière impulsive mais aussi que, pour elle, les élections sont… truquées. Elle a été libérée après le versement d’une caution de 5 000 dollars et risque jusqu’à cinq ans de prison. Deux autres personnes ont tenté de frauder, ajoute le Des Moines Register, et ont été arrêtées.
Le procureur du comté de Polk, dans l’Iowa, a expliqué que la fraude dans cet Etat est rarissime : « En vingt-cinq ans, cela doit être la troisième fois que je vois quelqu’un tenter de frauder », a expliqué John Sarcone à IPR, ce qui pour lui est la preuve de la sûreté du système.
Un processus décentralisé
Le processus extrêmement décentralisé et les scrutins sont gérés par les Etats, qui en délèguent les modalités aux comtés et aux villes. En pratique, les électeurs votent parfois de façon électronique, parfois avec un bulletin en papier. Dans chaque bureau de vote, des observateurs démocrates et républicains sont théoriquement présents pour assurer la conformité des opérations.
Les élections sont organisées par les Etats et ne portent pas que sur le prochain président. Elles concernent les autres échelons locaux, et il est peu probable que ceux-là même qui les organisent en critiquent ou en sabotent le déroulement, écrit le Washington Post. Pour être efficace, le « trucage » devrait porter sur les cinquante élections ayant lieu dans tous les Etats américains. Le Post relève que sur les onze Etats dans lesquels le résultat de l’élection pourrait être serré (Arizona, Caroline du Nord, Colorado, Floride, Géorgie, Iowa, Nevada, New Hampshire, Ohio, Pennsylvanie et Virginie), seules la Pennsylvanie et la Virginie sont aux mains des démocrates.
Quant aux craintes d’attaques informatiques venues de Russie pour perturber l’élection, elles ont été balayées d’un revers de main par Vladimir Poutine, depuis Sotchi :
« Est-ce que quelqu’un pense sérieusement que la Russie peut influencer le choix du peuple américain ? L’Amérique est une république bananière, ou quoi ? L’Amérique est une grande puissance. »
Défiance vis-à-vis du scrutin
Les propos du candidat républicain laissent des traces : un quart de ses électeurs affirment qu’ils ne sont pas prêts à accepter le verdict des urnes, rapporte un sondage CBS News/New York Times. Et près de 40 % d’entre eux affirment avoir une faible confiance dans le processus de dépouillement du scrutin. Le Washington Post qui a la même analyse sur la défiance des électeurs républicains, relève que par contraste, 86 % des partisans de Hillary Clinton accepteraient la défaite de leur candidate.
Mais la défiance à l’égard du scrutin dépasse la question des fraudes directes. L’organisation même de ses modalités est soumise à caution. Après l’arrêt Shelby County v. Holder (2013), quatorze Etats et nombre de comtés – dans les anciens Etats ségrégationnistes, mais aussi du Nord-Est du pays – ont en effet pu modifier leurs codes électoraux dans un sens restrictif (réclamant une preuve de citoyenneté, un papier d’identité avec une photo, une modification des modalités du vote anticipé et du vote par correspondance), sans pour autant demander l’autorisation du gouvernement fédéral, note le Washington Post.
Le Leadership Conference on Civil and Human Rights, qui soutient le droit de vote des minorités, note pour sa part que plus de 860 bureaux de vote ont été fermés, ce qui rend l’exercice du droit de vote plus problématique. Le New York Times a ainsi signalé que ces mesures restrictives, en Caroline du Nord ou en Floride, avaient eu pour conséquence de limiter la mobilisation des électeurs afro-américains, limitant le soutien reçu par la candidate démocrate.