Habari et ses 100 blogueurs dans le chaudron congolais
Habari et ses 100 blogueurs dans le chaudron congolais
Par Laurence Caramel
Professeurs, étudiants, sans-emploi… ils témoignent sur Internet « de la vie ordinaire » en RDC, malgré la censure qui frappe les médias.
Quand le signal de RFI demeure coupé à Kinshasa et que des journalistes de la radio Manika sont envoyés en prison pour avoir donné la parole à l’opposant Moïse Katumbi, Internet et les réseaux sociaux restent encore des espaces où la parole circule à peu près librement en République démocratique du Congo (RDC). Non sans crainte que la toile devienne la prochaine cible de la censure. A l’approche du 19 décembre, date officielle de la fin du deuxième mandat du président Joseph Kabila, les blogueurs regroupés dans le collectif Habari (« nouvelle » en swahili) sont inquiets : « Pour l’instant la connexion est assurée mais Internet est un moyen de coordination des manifestations et nous redoutons des coupures au fur et à mesure que l’échéance du 19 décembre approche », témoigne Guy Muyembe, le président du collectif.
Guy Mueyembe, 31 ans, est enseignant en comptabilité dans un lycée de Lubumbashi, la grande ville de l’ancienne province du Katanga dont l’opposant Moïse Katumbi, aujourd’hui en exil, fut le gouverneur. Il fait figure de pionnier dans cette blogosphère où la moyenne d’âge est plus proche de 25 ans. Etudiants, médecins, sans-emploi… et journalistes à l’étroit dans la presse « traditionnelle » congolaise : ils sont aujourd’hui une centaine de blogueurs à se partager la plate-forme habarirdc.net ouverte en juillet, grâce au soutien de la radio publique néerlandaise RNW.
Raconter ce que vit le pays
Originaires de Kinshasa, Lubumbashi, Goma, Bukavu et Mbuji Mayi, ils revendiquent « leur » approche de l’information, une nouvelle voix qui « exprime le ressenti des gens ordinaires sur la vie des gens ordinaires ». On y parle ainsi des musiciens de Lumumbashi qui ont du mal à joindre les deux bouts, des agriculteurs heureux de Beni, des femmes qui se retrouvent pour danser le nzango, des jeunes qui défendent la tolérance…
« Nous ne sommes pas là pour distribuer des points au gouvernement ou à l’opposition. Les médias classiques s’en chargent. Nous voulons juste témoigner, raconter ce qui se passe dans les quartiers pour que les Congolais et les étrangers puissent comprendre ce que vit le pays », explique le représentant des blogueurs.
C’est aussi une bonne façon de ne pas s’attirer l’ire de Kinshasa. Les journalistes de la radio néerlandaise veillent aux écarts des rédacteurs en rappelant quelques règles pour éviter les procès en diffamation… ou, pire, les arrestations. « La plupart d’entre nous ne sont pas journalistes. Ils ne connaissent pas les risques qu’ils encourent en portant des affirmations sans preuve. La RNW nous fournit un filet de sécurité. »
La charte du collectif qui revendique donc le refus de prises de position partisanes n’est cependant pas à l’abri des quelques entorses. A commencer par celles de leur président qui signe, le 3 novembre, un « top 5 des meilleures réalisations de Joseph Kabila ». « Le bilan de Kabila n’est pas tout noir ou tout blanc. J’ai juste voulu dire ce qui pour moi était positif », se défend Guy Muyembe.
La répression du pouvoir, faute de moyens ou d’habitude, épargne pour l’instant Internet. Pour autant, personne n’oserait affirmer qu’il ne se sent pas surveillé. A Goma, les blogueurs préfèrent souvent signer d’un pseudonyme pour des raisons de sécurité.
Si les connexions n’ont jusqu’à présent pas été coupées, les internautes ont cependant eu la mauvaise surprise, en juin, de subir une augmentation brutale de 35 % à 500 % selon les forfaits. Une hausse qui fut rapidement annulée après la mobilisation des patrons des médias. Bien sûr, personne n’en a la preuve mais, parmi les blogueurs, nul ne doute que c’est un coup de Kinshasa pour limiter la circulation des idées citoyennes. La page Facebook d’Habari revendique jusqu’à présent 60 000 amis et 100 000 pages vues.