« Le retour des diplômés africains ne doit pas être une obligation »
« Le retour des diplômés africains ne doit pas être une obligation »
Par Hamidou Anne (chroniqueur Le Monde Afrique)
Pour notre chroniqueur, les diplômés à l’étranger doivent avoir le choix entre rentrer au pays ou rester vivre hors du continent.
Lors de la troisième édition des Débats du Monde Afrique à Dakar sur le thème de l’enseignement supérieur en Afrique, la problématique du retour des diplômés sénégalais a provoqué de vifs échanges. Cette question reste toujours un sujet de tension entre ceux qui prônent un retour systématique des diplômés à l’étranger et les autres qui font preuve de plus de flexibilité.
Je suis clairement opposé à cette injonction du retour forcé, comme je fus scandalisé par la circulaire Guéant de 2011 qui restreignait la possibilité pour les étudiants étrangers de travailler en France après leurs études. Ma position consiste à laisser à chacun le choix : rentrer dans son pays après ses études, rester pour une première expérience professionnelle ou faire sa vie ailleurs.
Au-delà des excitations et des tensions que le sujet suscite, il s’agit d’une simple question de liberté individuelle. Sur le retour des diplômés comme sur d’autres sujets, on ne peut laisser prévaloir le pouvoir facile et lassant de l’injonction à un étudiant diplômé de rentrer chez lui. Qui veut revienne, qui ne veut pas reste ! Le choix doit rester personnel et au cas par cas, mais nullement dans la tyrannie de l’imposition d’une généralisation hâtive qui élude toute forme de complexité sur la question.
Refuser le cloisonnement identitaire
Notre génération doit nourrir une conception du monde qui refuse le cloisonnement identitaire et les spécificités nationales restreintes. Nous sommes celui du Web 2.0, de la dématérialisation des savoirs et de la circulation instantanée des informations et des connaissances.
Les étudiants africains qui étudient puis restent vivre et travailler à l’étranger sont symptomatiques des migrations, brassages humains et unions mixtes qui sédimentent l’idée de l’élasticité d’une identité. Celle-ci n’est plus figée mais va à rebours de replis primaires sur soi, malgré des tentatives de retour en arrière audibles actuellement. Le nombre record de prix Nobel attribués à des chercheurs devenus citoyens américains grâce à l’immigration des cerveaux est emblématique de cette identité de « cocomposition, d’ouverture et de réciprocité », théorisée par Achille Mbembe.
Aux jeunes de la diaspora de ne pas mettre en avant leur formation et leur compétence supposée pour exiger un traitement différencié comme monnaie d’échange pour retourner dans leurs pays. Parfois, évoquent-ils un souhait persistant de retourner au pays mais exigent de hautes responsabilités, des conditions optimales de travail, un salaire largement supérieur à la norme et une qualité de vie que ne peuvent encore offrir nos pays sous-développés. Une nation se construit par un contrat social forgé sur la culture de l’égalité. Refuser ce postulat, c’est être indigne de participer à une quelconque ambition nationale progressiste. Nos pays ne doivent même pas avoir besoin de chasseurs de primes, mais de citoyens motivés à relever les défis colossaux du moment.
Renverser le paradigme actuel
D’autre part, les étudiants de nos universités ne doivent pas nourrir de complexes comme je l’ai senti dans certains de leurs propos lors des assises de Dakar. Il faut se faire à l’idée que la construction de nos pays est quotidienne. Les bras supplémentaires doivent rejoindre un travail déjà entamé, mais non en être la locomotive d’impulsion. Si nous arrivons à construire des nations de progrès, de justice et d’égalité à l’accès à l’emploi, la santé et l’éducation, les gens auront davantage envie de rentrer pour rejoindre la dynamique de transformation politique et sociale. Et nous deviendrons même des pays d’immigration de cerveaux et renverser le paradigme actuel.
L’Afrique a besoin de tout le monde dans sa vocation émancipatrice. Mais, d’abord et surtout, elle a besoin de ceux qui ont l’envie et la préoccupation de son devenir. On peut être strictement de nationalité sénégalaise et, à travers une indifférence totale, ne guère se préoccuper du devenir de ce pays. Ceux qui, en revanche, militent pour le progrès du continent sont nombreux et partout. Ils sont de diverses nationalités et vivent aussi en dehors des frontières africaines.
Cette question du retour des diplômés touche de plein fouet la jeunesse, l’éducation et l’emploi qui sont, selon moi, nos plus grands défis actuels. Elle confirme ainsi l’urgence de la propagation de l’idée de « déterritorialisation » de l’Afrique évoquée largement lors des Ateliers de la pensée de Dakar. Celle-ci pense le continent non plus en tant que singularité mais comme une entité dont les réalités, les problèmes, les interrogations et les solutions doivent s’insérer dans une réflexion globale sur le monde.
Hamidou Anne est membre du cercle de réflexion L’Afrique des idées.