« Ils sont tous devenus dingues ! » Le cri du coeur de ce dirigeant du PS, dimanche 27 novembre dans la soirée, reflète bien l’état d’esprit général des socialistes après un nouveau week-end de très grande tension politique au sommet de l’Etat. Au moment où la droite a choisi d’investir son candidat, François Fillon, de manière massive et indiscutable contre Alain Juppé, le propulsant comme le favori de la présidentielle dans cinq mois, la gauche, elle, aborde le futur scrutin sous le sceau de la division la plus mortifère.

A ce stade, pas moins de sept candidats se sont déjà déclarés à gauche pour 2017, contre huit lors du premier tour de la présidentielle en 2002. Une inflation qui frise le suicide politique alors que la qualification du Front national pour le second tour, si elle avait été une surprise il y a quatorze ans, est cette fois inscrite dans toutes les têtes.

François Hollande n’est plus seulement cerné, il est assiégé. En l’espace de 48 heures, la pression est encore montée de plusieurs crans sur les épaules du chef de l’État qui doit dire dans les prochains jours s’il compte ou non participer en janvier 2017 à la primaire organisée par le PS.

« Je prendrai ma décision en conscience »

Samedi 26 novembre, le Parti radical de gauche (PRG), qui participe pourtant au gouvernement avec les ministres Jean-Michel Baylet (aménagement du territoire) et Annick Girardin (fonction publique), a choisi de présenter son propre candidat en 2017, en investissant sa présidente Sylvia Pinel. De leur côté, les militants communistes ont décidé de soutenir, contre l’avis de la direction du PCF, la candidature de Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle.

Deux mauvaises nouvelles pour François Hollande, qui passeraient presque pour anecdotiques – ce qu’elles ne sont pas – comparé à la crise ouverte dans le même temps par le premier ministre Manuel Valls. Dans un entretien accordé au Journal du dimanche, le chef du gouvernement estime en effet que le chef de l’État n’est pas en situation de briguer un second mandat. Il y a encore quelques semaines, Manuel Valls n’avait que les mots « loyauté » et « respect des institutions » à la bouche quand il évoquait sa relation avec François Hollande. Mais à présent, il estime que « le contexte a changé ».

En cause, la parution, en octobre, du livre « Un président ne devrait pas dire ça » (Stock), qui a provoqué, selon lui, du « désarroi », du « doute », de la « déception » à l’encontre du président de la République, et a installé « l’idée que la gauche n’a aucune chance » en 2017. Sans exprimer la moindre divergence politique de fond avec le chef de l’Etat, ni prendre le risque de présenter sa démission, le premier ministre n’écarte pourtant pas d’être candidat contre François Hollande à la primaire. « Chacun doit mener ses réflexions en responsabilité. Je prendrai ma décision en conscience », explique-t-il.

« On ne bouge pas »

La veille, le président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone, avait déjà largué une bombe sur l’Elysée, en suggérant que François Hollande et Manuel Valls s’affrontent tous les deux à la primaire. Un moyen pour le quatrième personnage de l’Etat de régler ses comptes avec le premier, qui l’égratigne dans le livre de Gérard Davet et Fabrice Lhomme, et d’absoudre par avance de trahison le second, avec lequel il partage pourtant peu de positions communes.

Du jamais vu sous la Ve République ! Remontés, les proches de François Hollande n’ont pas manqué de dénoncer la part de calcul de Claude Bartolone. « Quand les états d’âme et les ressentiments personnels font dire de grosses bêtises », a commenté samedi sur son compte Twitter, le ministre de l’agriculture, Stéphane Le Foll.

Face à une telle pétaudière au sein de l’exécutif, les rumeurs d’un remaniement pour débarquer Manuel Valls ont couru dès dimanche soir. Rumeurs aussitôt démenties par l’Elysée. Au contraire, François Hollande, revenu d’un voyage officiel à Madagascar quelques heures après l’annonce des résultats de la primaire de la droite, a fait passer à ses proches un message de cessez-le-feu. « Sang froid, apaisement et rassemblement, il n’y a que cela qui compte », a-t-il confié à l’un. Les deux hommes vont déjeuner en tête à tête lundi, comme chaque semaine.

« Il vaut toujours mieux être le trahi »

Le président de la République n’entend toujours pas changer ses plans ni accélérer son calendrier. Il attend notamment de savoir si François Bayrou va ou non se présenter lui aussi à la présidentielle. Une candidature du président du MoDem pourrait en effet fragiliser aussi bien la campagne de François Fillon que celle d’Emmanuel Macron.

A l’activisme de son premier ministre, le chef de l’Etat veut opposer une sorte de force tranquille. Vaste défi, tant il semble chaque jour plus affaibli. « Le président se dit qu’en politique, il vaut toujours mieux être le trahi que le traître. Lui a l’intention de gérer le pays, il n’est pas là pour distribuer des bourre-pifs », cingle son entourage à l’intention de Matignon.

François Hollande estime que Manuel Valls n’a en réalité aucun moyen de le contraindre et ne peut prendre le risque de démissionner. Quant aux arguments du premier ministre pour demander son retrait de la course pour 2017, ils sont faibles, juge-t-on à l’Elysée : « Dire que Hollande ne doit pas se représenter parce qu’il a parlé à Davet et Lhomme, c’est un peu court. La candidature à la présidentielle, ce n’est pas un salon littéraire ou Apostrophes. »

François Hollande continue de penser que le positionnement très libéral de François Fillon peut lui ouvrir une brèche à gauche dans cinq mois. Sauf que le chef de l’Etat doit auparavant passer par l’étape de la primaire, plus que périlleuse. « L’angoisse qu’il a, c’est celle d’une primaire dénaturée, avec une collusion des électorats d’extrême gauche et de droite qui viendraient voter pour le sortir », confie un de ses amis. Au point que certains de ses proches lui conseillent de contourner le scrutin de janvier pour se présenter directement devant les Français.

A l’argument de possibilité avancé pour lui-même par Manuel Valls, François Hollande ne peut plus opposer qu’un argument de légitimité institutionnelle, lequel est une bien maigre protection dans le champ de mines de la gauche actuelle.

"Pour François Hollande, la désignation probable de François Fillon est une bonne nouvelle"
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