Boeing a dû s’engager à maintenir dans son usine d’Everett la fabrication des ailes de son 777 en échange de 8,7 milliards de dollars de subventions de la part de l’Etat de Washington. | STEPHEN BRASHEAR / AFP

L’avionneur européen Airbus a remporté une victoire d’étape importante dans l’interminable contentieux qui l’oppose à son concurrent Boeing devant l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Cette dernière a déclaré, lundi 28 novembre, que sur un total de 8,7 milliards de dollars (8,2 milliards d’euros) de subventions destinées par l’Etat de Washington au constructeur américain, 5,7 milliards étaient considérés comme « illégales ».

Fin 2014, l’Union européenne (UE) a porté plainte contre les Etats-Unis devant l’OMC dans une affaire baptisée « Boeing 2 » à Bruxelles à la suite d’une loi adoptée en 2013 par l’Etat de Washington. Celle-ci visait à prolonger des subventions directes (déductions de taxes) à l’industrie aéronautique, et notamment à Boeing, jusqu’en 2040, à condition que celui-ci maintienne la fabrication des ailes de l’avion civil 777X dans cet Etat du nord-ouest. L’avionneur avait à l’époque menacé de délocaliser une partie de ses usines en Caroline du Nord (sud-est).

L’Europe épinglée en septembre

Déjà en 2012, l’OMC avait déclaré « incompatibles » avec ses règles des subventions de l’Etat de Washington au constructeur en 2012. Mais l’Etat était passé outre et les avait prolongées. « La décision de l’OMC est une victoire importante pour l’Union européenne et son industrie aéronautique », s’est félicitée, lundi, la commissaire au commerce, Cecilia Malmström, qui a ajouté :

« Nous attendons que les Etats-Unis respectent les règles, s’en tiennent à des pratiques commerciales équitables, et mettent fin à ces subventions sans délai. »

Le même jour, l’avionneur américain s’est dit confiant de voir infirmée en appel cette décision de l’OMC. « Après toute forme d’appel, nous sommes convaincus que Boeing conservera tous les aspects des aides de l’Etat de Washington, y compris le taux d’imposition pour le 777X », a déclaré le directeur du service juridique du groupe, Michael Luttig.

Cette victoire européenne survient après une précédente manche, remportée par Boeing et les Etats-Unis au sujet d’un contentieux datant de 2005. En septembre, l’OMC avait déclaré « incompatibles » avec ses règles des aides directes d’Etats membres de l’Union à Airbus.

En 2011, l’UE avait proposé d’en finir avec certaines d’entre elles, mais Washington était revenu à la charge, contestant la bonne volonté de Bruxelles. L’OMC a donné en partie raison aux Etats-Unis il y a deux mois ; l’UE a fait appel de cette décision. Un dernier différend, « Boeing 1 », porté par les Européens devant l’OMC en 2004, existe au sujet de subventions liées à des prestations de recherche et développement de la NASA et du département fédéral de la défense. L’OMC a confirmé, en 2011, que certaines de ces subventions avaient été « dommageables » pour Airbus et l’Europe.

Décourager les éventuels challengers

Les deux leaders mondiaux redoutent de voir d’autres pays subventionner leur industrie aéronautique

Ne serait-il pas temps d’aboutir à un compromis global entre les deux industriels afin d’en finir avec cette interminable guérilla juridique ? Les Européens, qui soulignent que les hostilités ont été lancées par les Américains en 2004, seraient prêts à négocier, à condition cependant que le compromis soit juste et équitable et non pas unilatéral.

Mais en pratique, Airbus et Boeing ne souhaitent pas mettre un terme aux contentieux. « Depuis les frères Wright [pionniers américains de l’aviation], aucun programme n’a pu être mené à terme sans subventions », admettent-ils l’un et l’autre. La poursuite du contentieux des deux géants mondiaux de l’aviation civile vise, en réalité, à empêcher toute distorsion de concurrence à l’initiative d’éventuels challengers.

Autant Boeing qu’Airbus se sont alarmés de la subvention directe de 2 milliards de dollars versée au printemps 2016 par le Canada à l’avionneur local Bombardier. Celui-ci a pu immédiatement baisser les prix de son dernier né, le moyen-courrier CSeries, concurrent direct de l’Airbus A320 et du Boeing 737, des best-sellers. « C’est un signal dangereux », fait-on savoir du côté de l’européen.

Parmi les autres pays qu’Airbus et Boeing redoutent de voir aider leur industrie aéronautique figurent la Chine et la Russie. Pékin, avec le constructeur Comac, a déjà développé un avion régional et le programme d’un moyen-courrier futur concurrent de l’A320 et du 737 est en cours. L’empire du Milieu a indiqué il y a deux ans qu’il voulait lancer un long-courrier en coopération avec les Russes. En allant au bout de leur bataille juridique devant l’OMC, l’européen et l’américain souhaitent que ces décisions fassent jurisprudence et s’imposent à tous les pays.

Airbus supprime 1 357 postes

Airbus devait annoncer, mardi 29 novembre, 1 357 suppressions de postes lors d’un comité de groupe européen. L’avionneur européen veut supprimer « les doublons » nés de la fusion de la maison mère Groupe Airbus (ex-EADS) avec sa filiale Airbus aviation commerciale. Trois sites, dont deux en France et un en Allemagne, seront principalement concernés par cette réorganisation. Le centre historique de recherche et développement de Suresnes, créé par le pionnier de l’aviation Louis Blériot, pourrait même fermer ses portes. Ces nouvelles suppressions de postes s’étaleront sur deux ans et concernent 1 % des effectifs du groupe. Ce plan ne prévoit pas de licenciements secs sauf si les salariés concernés par des mobilités entre sites les refusent.