Etienne Klein est professeur à l’Ecole centrale à Paris, directeur de recherche au Commissariat à l’énergie atomique, président de l’Institut des hautes études pour la science et la technologie. | LIONEL BONAVENTURE / AFP

Professeur à l’Ecole centrale à Paris, directeur de recherche au Commissariat à l’énergie atomique (CEA), président de l’Institut des hautes études pour la science et la technologie (Ihest) depuis septembre 2016, Etienne Klein est aussi une figure de la vulgarisation scientifique. Le 29 novembre, L’Express l’accusait de plagiat dans son dernier ouvrage, Le pays qu’habitait Albert Einstein (Actes Sud), ainsi que dans certaines de ses chroniques écrites pour La Croix ou diffusées sur France Culture. Etienne Klein a fait parvenir au Monde, qui s’était fait l’écho de cette enquête, un texte pour réagir à ces accusations.

  • A propos des accusations portant sur des phrases de physiciens reprises dans les chroniques dans La Croix et sur France Culture

« Je commencerai en laissant la parole à Gilles Cohen-Tannoudji, Michel Spiro et Yves Couder, trois éminents physiciens qu’on m’accuse d’avoir plagiés et qui ont réagi de leur propre chef à l’article de L’Express, en adressant deux courriers à l’hebdomadaire : “L’analogie des coups francs au football et des théories de jauge que nous avions évoquée dans notre livre La Matière-espace-temps (Fayard, 1986) ne nous appartient pas, écrivent Gilles Cohen-Tannoudji et Michel Spiro. Elle est maintenant largement connue chez les physiciens, et nous sommes ravis qu’elle soit reprise et popularisée. Elle mérite cependant un minimum d’explications sans lesquelles elle risque d’être complètement incompréhensible. C’est ce minimum, impossible à paraphraser, qu’Etienne Klein a repris en s’inspirant de notre ouvrage dans son article de La Croix, puisqu’il a évoqué dans sa rubrique radiophonique en me citant comme son collègue et ami. L’accuser à ce propos de plagiat nous semble relever d’une bien inquiétante volonté de lui nuire.” »

 « Quant à Yves Couder, il précise en conclusion de sa lettre :

“En ce qui nous concerne, il n’y a aucun plagiat, mais simplement le travail normal d’un chroniqueur scientifique.”

Les lecteurs d’ouvrages scientifiques n’ignorent pas que les scientifiques en général et les physiciens en particulier partagent des façons de dire leurs connaissances, qui sont pour ainsi dire devenues canoniques. On peut éclairer, expliquer une loi physique ou un principe, mais on ne peut pas reformuler ce qui a été énoncé avec exactitude. Quand on écrit que la Terre tourne autour du Soleil, on ne met pas de guillemets, pas plus qu’on ne cite les noms de Copernic, Galilée et Foucault (Léon, l’homme du pendule). Un philosophe, Michel Foucault, a bien résumé la chose :

“Je cite Marx sans le dire, sans mettre de guillemets, et comme ils ne sont pas capables de reconnaître les textes de Marx, je passe pour être celui qui ne cite pas Marx. Est-ce qu’un physicien, quand il fait de la physique, éprouve le besoin de citer Newton ou Einstein ? Il les utilise, mais il n’a pas besoin de guillemets, de note en bas de pages ou d’approbation élogieuse qui prouve à quel point il est fidèle à la pensée du maître.”

Cet argument vaut évidemment pour Roger Balian, chez qui, selon L’Express, j’aurais plagié une illustration du second principe de la thermodynamique, énoncé au milieu du XIXe siècle. Roger Balian est un collègue du CEA [Commissariat à l’énergie atomique] et un ami de trente ans, avec qui j’ai notamment participé en août 2001 à l’école d’été e2phy, “l’énergie sous toutes ces formes”, destinée à aider les enseignants du secondaire à lutter contre la désaffection des jeunes pour les études scientifiques. Les deux phrases, à la vérité tout à fait “classiques”, que l’hebdomadaire me blâme d’avoir copiées dans le livre L’Energie de demain (EDP Sciences, 2005) furent prononcées par Roger Balian lors du cours qu’il donna en cette occasion aux professeurs, puis successivement reprises par divers chercheurs dans divers séminaires internes du CEA. »

  • A propos des accusations portant sur des phrases d’écrivains reprises dans Le pays qu’habitait Albert Einstein (Actes Sud, 2016)

« A force de lire et relire certains auteurs, on finit par les intérioriser, au point, parfois, de reprendre certaines de leurs expressions ou métaphores sans s’en rendre compte. D’où la présence dans mon livre de quatre expressions ou phrases, très courtes, de Gaston Bachelard, Paul Valéry et Stefan Zweig, trois des écrivains qui m’ont le plus nourri. Cette explication n’a pas valeur d’excuse, mais je crois le procédé, je dirais même le processus, suffisamment répandu dans le monde des idées, celui de la littérature, donc celui de l’édition en général, pour qu’on ne cloue pas au pilori tous ceux, et ils sont légion, qui empruntent inconsciemment ou consciemment aux auteurs qu’ils admirent et avec lesquels ils entretiennent une sorte de conversation intérieure.

J’en viens aux autres phrases que L’Express m’accuse d’avoir empruntées sans citer leur auteur, à savoir François Cassingéna, Philippe Claudel, Louis Aragon, ou Roman Jacobson.

Contrairement à ce qui est dit dans l’hebdomadaire, Roman Jacobson est cité page 234 de mon livre, entre guillemets et avec la référence de l’ouvrage en note.

Reste une phrase de Philippe Claudel, une de Louis Aragon, deux de François Cassingéna (qui m’a très gentiment écrit que j’étais “tout absout”). Je reconnais avoir agi là avec négligence et dans la précipitation. Pour écrire ce livre, j’ai pris de très nombreuses notes, constitué de nombreux fichiers, au point que j’ai pu égarer certaines sources ou m’emmêler les pinceaux. Ce sont des erreurs et je les regrette.

Enfin, il m’apparaît crucial de préciser que ce ne sont pas les phrases mises en cause (une dizaine de lignes au total, sur 240 pages) qui font mon essai sur Einstein, pas plus qu’elles n’ont inspiré ma démarche, mon voyage sur les traces européennes du père de la relativité, ni l’hypothèse que je développe. Tout lecteur est à même de s’en rendre compte. Ces phrases seront mises entre guillemets et référencées dans la prochaine édition, ou éventuellement supprimées, sans pour autant que mon ouvrage s’en trouve altéré. »