Les professionnels de la filière viande sur la défensive
Les professionnels de la filière viande sur la défensive
Par Jérémie Lamothe
Consommation en berne, crises sanitaires, difficultés économiques… Malgré tous ces problèmes, les professionnels de la filière croient encore en l’avenir de la viande.
Boucheries artisanales, exploitations agricoles, abattoirs ... C’est toute la filière viande qui est en difficulté aujourd’hui. | Thierry Laporte pour Le Monde
Du chapon farci, de la dinde aux marrons ou, pourquoi pas, du magret de canard accompagné de pommes cuites. Quels que soit son nom, sa cuisson et sa provenance, la viande sera un des incontournables de nombreuses tablées françaises à l’occasion des repas de Noël ou du Nouvel An.
Une tradition qui vient soulager les acteurs de la filière viande, de l’éleveur au boucher, en passant par les industriels et les grossistes. Car ces derniers sont aujourd’hui sur la défensive. Et pour cause, l’histoire d’amour entre les Français et la viande semble bégayer. Les nombreuses crises qui se sont succédé à intervalles réguliers – la vache folle en 1996, le scandale de la viande à cheval dans les plats préparés en 2013 ou encore la diffusion d’images choquantes dans certains abattoirs… –, ont eu un effet néfaste sur la consommation de viande dans l’Hexagone.
La filière a perdu la bataille de l’image
Sa croissance annuelle tournait pourtant autour de 1,5 % au lendemain de la seconde guerre mondiale. Avec un pic en 1992 à plus de 106 kg en équivalent carcasses (kgec) de viandes consommées par habitant et par an, c’est-à-dire en incluant des parties non comestibles comme les tendons et les os.
Mais depuis, la consommation est en chute libre. Aujourd’hui, les Français ne mangent plus que 89 kg de viande par an. Conséquence de ce tournant, sa part dans les dépenses alimentaires des ménages diminue également. Si elle atteignait jusqu’à 26 % en 1967, elle n’était plus que de 20 % en 2014. Seule la volaille s’en sort, avec une croissance qui se poursuit depuis les années 1970.
« Dans nos vieilles sociétés occidentales, nos envies et nos besoins de viandes ont saturé, constate l’agro-économiste René Laporte et auteur en 2012 de La Viande voit rouge. Le niveau de vie a changé, et les gens ont les moyens d’acheter aujourd’hui d’autres produits alimentaires. Et puis, avec les différentes crises sanitaires, toutes les images négatives qui ont été diffusées ont marqué le consommateur. »
Avec tous ces scandales, la filière viande semble avoir perdu la bataille de l’image dans l’opinion. Ceux qui s’en détournent – les végétariens, végétaliens ou autres vegans –, sont de plus en plus nombreux dans la société. Un nouveau marché est en train d’émerger. Selon un sondage réalisé par Opinionway pour Terraeco en janvier 2016 (1), 3 % des personnes interrogées se déclaraient végétariennes et 10 % envisageaient de le devenir. Dont 18 % chez les 35-49 ans.
Une pédagogie renforcée
Accusée d’être trop opaque, de maltraiter les bêtes ou encore de polluer, la filière tente de se redonner une bonne image et de retrouver la confiance du consommateur. Et ce dès le plus jeune âge. Depuis octobre, et jusqu’à février 2017, l’association nationale interprofessionnelle du bétail et des viandes, Interbev, fait ainsi la promotion de la viande à l’aide de kits pédagogiques « dans 1 500 écoles » et auprès de « 225 000 élèves ». L’objectif est de « sensibiliser les enfants et leurs parents à une consommation de qualité » et de « valoriser les écoles servant de la viande française de bœuf et de veau dans leurs restaurants ».
Mais cette initiative est dénoncée par des militants écologistes. Deux pétitions en ligne ont d’ailleurs rassemblé plus de 100 000 signatures pour protester contre cette initiative. Les opposants y dénoncent notamment un « lavage des cerveaux des élèves du primaire » en « occultant bien entendu la réalité du fonctionnement des élevages industriels et des abattoirs ».
« On ne fait pas du prosélytisme. On leur montre ce que c’est la viande, les enjeux en terme de filière, se défend Dominique Langlois, président d’Interbev. Il est nécessaire de manger de la viande, ce n’est pas un danger, il faut le dire. »
Dans cette recherche de renforcer la pédagogie envers le consommateur, l’interprofession a également mis en place en 2014 une nouvelle dénomination des morceaux de viande dans les grandes surfaces. Il est désormais indiqué le nom du morceau, sa tendreté et son mode de cuisson : à griller, à rôtir, au pot-au-feu… Et en réponse à la découverte, en 2013, de viande de cheval dans des lasagnes, un logo « viande de France » a été créé. Pour l’obtenir, il faut que l’animal soit né, élevé, abattu et transformé en France.
Mais pour M. Laporte, la filière pourrait être encore plus transparente pour rassurer les clients.
« On n’en donne pas assez aux consommateurs alors que la filière a toutes les informations (provenance, âge…). C’est important, d’autant que les bouchers de proximité sont en recul. Il n’y a pas d’étiquetage dans les boucheries car les gens ont confiance en leur boucher. Contrairement à la grande surface où là il faut des étiquettes. »
Difficultés économiques
Outre ces problèmes d’images, la filière, qui revendique 500 000 emplois, est empêtrée aujourd’hui dans de réelles difficultés économiques. En trente ans, la moitié des exploitations ont disparu, les boucheries artisanales ferment, et du côté des abattoirs, seuls les plus gros résistent à cette crise structurelle. Et les éleveurs ne vivent plus de leur production.
Selon des estimations publiées par l’Insee, mardi 13 décembre, le revenu agricole moyen d’un exploitant français devrait chuter de 26 % en 2016. Et d’après la Mutualité sociale agricole, un tiers des agriculteurs a touché moins de 350 euros par mois en 2015.
Pour M. Laporte, ardent défenseur de la filière, un des problèmes vient du surplus de production : « Il faut adapter nos volumes de production à la consommation. On produit trop de viandes par rapport à la demande. C’est notamment le cas depuis 2015 et la fin des quotas laitiers. C’est une spécificité française ». Face à la baisse du prix du lait, les éleveurs laitiers ont en effet préféré envoyer à l’abattage leurs vaches laitières. La production de viandes a ainsi nettement augmenté alors que la demande n’a pas suivi.
Mais c’est tout un modèle productiviste qui est aujourd’hui en question. Est-il encore viable ? Les petites exploitations ont-elles encore leur place ? Des solutions alternatives commencent à émerger. Et la viande bio est l’une d’entre elles. Selon une étude Ifop (2) publiée en avril 2016, 70 % des personnes interrogées en consomment. Soit une hausse de 11 % en un an. Et 30 % des sondés déclarent vouloir augmenter leur consommation de viande bio.
Conséquence : les éleveurs suivent ce mouvement. Selon l’Agence Bio, les volumes de viande bio ont augmenté de 8 % en 2015 « et la croissance des cheptels en conversion s’est accélérée » avec 640 exploitations qui se sont converties. Soit une hausse de 33 % en un an. « Il n’y a pas de vérité ou de modèle unique. On a trop pensé qu’il n’y avait qu’une seule façon de faire, c’est notre côté cartésien, regrette René Laporte. Mais des formes alternatives apparaissent avec le développement de l’agriculture locale. Le bio ne sera pas le modèle de masse mais plusieurs modèles peuvent coexister ».
(1) Sondage Opinionway pour Terraeco réalisé en janvier 2016 sur un échantillon représentatif de 1 052 personnes.
(2) L’enquête a été menée auprès d’un échantillon de 1 002 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus en mars 2016.