Ni le profil de grand technocrate, ni les qualités de gestionnaire rigoureux ne prédisposaient, il n’y a pas si longtemps en Afrique, au poste de ministre des finances. Le maroquin de grand argentier était plutôt réservé aux personnalités investies de la seule confiance du président de la République. Le titulaire est donc souvent le fidèle parmi les fidèles, le beau-frère, le gendre ou même, dans certains pays, « le frère du village ».

Dans tous les cas, l’enjeu reste le même : remettre les clés du coffre-fort de l’Etat à une personnalité au-dessus de ton soupçon de trahison. On se souvient encore de la décision du président Félix Houphouët-Boigny de confier, en 1968, les finances de la Côte d’Ivoire à Henri Konan Bédié, alors âgé de 34 ans seulement.

Signe de la confiance totale du premier président ivoirien, celui que l’on désignait comme « son fils » gardera pendant presque neuf ans (1968-1977) les clés de la tirelire ivoirienne, alors en plein « miracle économique ».

Plus récemment, le Nigérien Mamadou Tandja avait choisi d’offrir pour sept années (2003-2010) le poste de ministre des finances de son pays à Mahaman Ali Lamin Zène, un proche avec lequel il entretenait des relations filiales. Ce technocrate réputé pour son intégrité avait gardé l’œil sur les comptes du Niger, en pleine prospérité budgétaire après la signature de l’accord pétrolier avec les Chinois, jusqu’à la chute de Tandja en février 2010.

Le Sénégalais Abdoulaye Wade avait, pour sa part, confié pendant dix années (2001-2011) les clés des coffres du Sénégal à Abdoulaye Diop, un fidèle parmi les fidèles.

Pendant les périodes fastes, celles de la flambée des prix des matières premières, les grands argentiers étaient sur le continent chouchoutés par les « patrons », courtisés par les uns et jalousés par les autres.

Fin d’une époque

A regarder de près la conjoncture actuelle, on est bien loin de cette période du grand argentier flamboyant, omniscient et omnipotent, disposant de la confiance sans limite du président de la République.

Rétrogradé ici dans l’ordre de préséance protocolaire, réduit là en ministre délégué auprès du premier ministre, le ministre des finances africain traverse une passe difficile. Le Sud-Africain Pravin Gordhan a échappé de peu, en octobre, à des poursuites judiciaires visiblement ourdies par son propre camp. Au Cameroun, Essimi Menye a dû prendre la poudre d’escampette pour échapper à une incarcération programmée, invoquant des problèmes de santé qui nécessitent des soins à l’étranger. Brutalement débarqué de son poste, le Malien Mamadou Igor Diarra a connu une courte traversée de désert avant d’atterrir à Dakar comme directeur général de la Bank of Africa (BOA) Sénégal.

Ceux qui réussissent à s’accrocher à leur maroquin doivent affronter l’adversité au quotidien. Ils doivent d’abord se battre pied à pied contre leurs collègues du gouvernement qui réclament toujours plus de crédits budgétaires mais sans le contrôle financier qui s’y rattache. Le grand argentier doit également désormais se démener comme un diable pour assurer des fins de mois difficiles. Ici, il doit supplier les banquiers d’avancer les salaires des fonctionnaires ; là il doit engueuler les douaniers et les agents du fisc pour mobiliser davantage de recettes. Ailleurs, il doit quémander une aide budgétaire exceptionnelle auprès des partenaires extérieurs. Et comme si tout cela ne suffisait pas à son supplice, il doit de temps en temps compter avec les pressions de la présidence de la République pour décaisser telle rondelette somme d’argent, payer tel fournisseur de l’Etat, « mécène » de la majorité présidentielle, et consentir des augmentations ou avantages hors budget décidés pour acheter la paix sociale.

Oreilles qui sifflent

C’est par ailleurs à lui seul qu’incombe la noble mission de se rendre à Washington au siège de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI) pour expliquer les dérapages budgétaires, les collectifs budgétaires qui n’en finissent, la flambée du train de vie de l’Etat, etc.

Derrière les salons feutrés et les immenses salles des conseils d’administration du FMI et de la Banque mondiale, de nombreux ministres africains des finances ont entendu leurs oreilles siffler ces derniers temps.

Leur sort, aggravé par la chute des prix des matières premières, principales sources des recettes budgétaires en Afrique, donne la mesure exacte de ce propos d’un ex-grand argentier d’un pays sahélien : « J’ai été soulagé le jour où j’ai appris que j’étais débarqué de mon poste de ministre des finances ; peu m’importait alors mon prochain emploi. »

Par les temps qui courent, il vaut mieux, en Afrique, être ministre de l’intérieur ou de la défense, et disposer ainsi de crédits sans limites pour lutter contre la menace terroriste, plutôt que ministre des finances, réduit à gérer des comptes publics entièrement dans le rouge.

Seidik Abba est journaliste et écrivain. Il est l’auteur de Niger : la junte militaire et ses dix affaires secrètes (2010-2011), L’Harmattan, 2013.