Centrafrique : la justice écarte des accusations contre les soldats de « Sangaris »
Centrafrique : la justice écarte des accusations contre les soldats de « Sangaris »
Par Nathalie Guibert
Plusieurs enquêtes ont été closes sans poursuite, tandis que de nouvelles accusations de viols émergent.
Des militaires français de l'opération "Sangaris", le 30 mai 2014, à Bangui. | AFP/MARCO LONGARI
La justice française n’a pas, à ce jour, étayé les accusations de viols qui pèsent sur les soldats de la force « Sangaris » en République centrafricaine (RCA), en dépit de plusieurs enquêtes ouvertes depuis 2014. La France est intervenue en RCA en décembre 2013 en pleine guerre civile, déployant jusqu’à 2 500 soldats dans le pays. L’opération « Sangaris » a été officiellement close fin octobre 2016.
RFI a révélé, mercredi 4 janvier, que les premières investigations, lancées en 2015 sur des faits présumés de viols sur mineurs dans le camp de Mpoko, près de l’aéroport de la capitale, Bangui, se sont arrêtées le 20 décembre. Des sources judiciaires ont précisé au Monde que les juges d’instruction avaient rendu leur « avis de fin d’information » et n’avaient prononcé aucune mise en examen. Le règlement du parquet doit encore intervenir, d’ici quelques semaines.
Dans cette affaire, la principale visant « Sangaris », 14 soldats français et 5 casques bleus africains de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine (Misca) étaient accusés d’agressions sur six enfants – notamment des fellations pratiquées contre des rations alimentaires – commises entre décembre 2013 et juin 2014. Une ONG américaine, Aids Free World, se trouvait à l’origine des dénonciations qui ont donné lieu à un rapport de l’ONU, resté confidentiel jusqu’à sa fuite dans le quotidien britannique The Guardian en avril 2015.
Une enquête préliminaire (procédure non contradictoire), ouverte par le parquet de Paris en juillet 2014 pour « viols sur mineurs par personne abusant de l’autorité de ses fonctions », avait débouché sur une information confiée à des juges d’instruction en mai 2015. Trois dossiers supplémentaires y ont été joints, l’un concernant un frère et une sœur dénonçant des fellations, les deux autres des mineures victimes présumées de viol et viols en réunion. Les juges n’ont trouvé aucun élément pour poursuivre.
Plusieurs plaintes classées
Une deuxième enquête préliminaire conduite par le parquet a été classée, le 20 novembre 2016, selon les informations du Monde. Ouverte en septembre 2015 pour des faits de « viol par personne abusant de l’autorité de ses fonctions », commis à Boda, à l’ouest de Bangui, elle concernait une jeune fille de 16 ou 17 ans, qui avait dit avoir d’abord consenti à un rapport avec un militaire avant d’être agressée. Tombée enceinte, elle demandait une recherche de paternité.
Plusieurs autres plaintes pour des cas d’agressions sexuelles ont été classées ou sont en voie de l’être selon les sources judiciaires, sans que leur nombre soit communiqué.
Une troisième enquête préliminaire visant des soldats français est toujours en cours, ouverte elle pour « agression sexuelle » en mars 2016. L’Unicef avait recueilli les témoignages d’une centaine de jeunes filles ayant affirmé avoir été abusées sexuellement par des soldats burundais et gabonais de la force onusienne – l’ONU a de son côté ouvert de nombreuses enquêtes sur ses contingents en RCA. En marge de ces faits, qui se seraient produits à Dékoa, au nord de la capitale, entre fin 2013 et 2015, des Français ont été accusés d’une agression zoophile.
Le parquet de Paris enquête par ailleurs sur un quatrième dossier. En juin 2016, cinq militaires français, dont deux gradés, ont été suspendus des rangs de l’armée pour des faits de violence commis en 2014 sur deux civils, dont un commerçant de Bangui. Une enquête préliminaire a été ouverte pour « violences en réunion » et « non-assistance » après la dénonciation des faits par le ministère de la défense en mai 2016.
Une hiérarchie consciente des dangers
Selon le site Mediapart, qui revient, mercredi 4 janvier, sur les accusations de viols, le ministère de la défense n’a pas fait preuve de diligence dans les enquêtes, en dépit d’éléments accablants rassemblés par des témoins et des victimes. Le site d’information évoque le fait que l’ordinateur d’un militaire mis en cause dans l’affaire de Mpoko contenait une grande quantité d’images pornographiques, dont une partie à caractère pédopornographique.
Des documents cités par Mediapart attestent en outre le fait que la hiérarchie de la force « Sangaris » était consciente des dangers liés à la situation désespérée et anarchique du camp de réfugiés de Mpoko, qui jouxtait la base de la force française sur le site de l’aéroport de Bangui, et a rassemblé 100 000 personnes au paroxysme des violences. Dans un rapport à l’Inspection générale des armées d’août 2014, un gradé évoque ainsi « une certaine facilité de s’infiltrer [à] un réseau de prostitution qui fait office tard dans la nuit ». Un sous-officier demande à « augmenter la prévention concernant la prostitution, qui pourrait être utilisée contre l’image de la force [Sangaris] ».
Le site souligne enfin que d’autres cas pourraient être traduits devant la justice. Il apporte le témoignage d’une femme de 25 ans, qui affirme avoir été violée par plusieurs soldats dans un blindé à Bangui, en avril 2015.