Installation d’une antenne-relai pour téléphonie mobile à Bailleul (Nord) en 2014. | PHILIPPE HUGUEN / AFP

Le cercle de réflexion de centre gauche Terra Nova publie, mercredi 11 janvier, un rapport sur les potentialités du numérique pour les territoires dits isolés, c’est-à-dire loin des aires urbaines. « La richesse économique est de plus en plus concentrée dans les métropoles ; certaines communes ont un sentiment d’abandon, de décrochage, et leurs habitants adoptent des comportements électoraux de rupture, comme le vote Front national, explique Thierry Pech, son directeur général. La transition numérique est un moyen de les désenclaver. »

Les auteurs de ce texte, intitulé « Que peut le numérique pour les territoires isolés ? », ont recensé 3 576 communes dans ce cas, soit presque 10 % de l’ensemble du pays, où vivent 1,2 million de personnes, soit un peu moins de 2 % de la population. Quelque 25 % des actifs de ces villages se déplacent dans des centres urbains éloignés pour travailler, par un aller-retour quotidien très contraignant. La population moyenne, plus âgée qu’ailleurs – 33 % ont de plus de 60 ans, contre 23 % pour la moyenne nationale –, est de 350 habitants par commune. Quelque 70 % de ces localités ne disposent d’aucun commerce alimentaire.

Usages identiques à ceux de la ville

Les territoires isolés ont, paradoxalement, mieux résisté à la crise : faiblement industrialisés, ils ont perdu peu d’emplois. Ils gagnent, en outre, des habitants, en particulier des retraités. Ils vivent beaucoup de l’économie dite résidentielle : tourisme, services de proximité et pensions de retraite – à elles seules, presque 39 % des revenus déclarés des ménages.

« Nous avons constaté que, même avec une connexion de moins bonne qualité qu’ailleurs, les usages d’Internet et du téléphone mobile sont les mêmes qu’en ville », détaille Victor Bernard, chargé de mission et rapporteur du groupe de travail.

Le taux d’équipement en smartphones dépasse 60 % – à comparer aux 77 % de l’agglomération parisienne –, celui en ordinateurs atteint 83 % – contre 86 % – et 58 % des habitants des communes rurales font des achats sur la Toile – autant qu’ailleurs. Le recours à l’administration en ligne est, lui, faute de services publics accessibles, supérieur en territoire rural (61 %, contre 53 % dans les communes de plus de 100 000 habitants).

Pour développer de nouvelles activités liées au numérique, certaines collectivités font preuve d’innovation. La région Auvergne, avec son programme New Deal Digital (antérieur à la fusion avec Rhône-Alpes), aide des jeunes entreprises, comme le fait le campus NumericALL, en Meurthe-et-Moselle. Et cela fonctionne, avec des réussites étonnantes, comme la création du site de référence d’information sur les jeux vidéo, Jeuxvideo.com, cocréé par Sébastien Pissavy, installé à Aurillac, premier européen et numéro trois mondial sur ce secteur. Autre succès, l’agence Bridoude Internet, qui propose un service de référencement de sites dans les moteurs de recherche, s’est installée à Cohade (Allier), une commune de 830 habitants.

Gestion de son exploitation agricole et télémédecine

Le Web fait merveille dans le commerce en ligne, surtout spécialisé. Pecheur.com, créé par un passionné, installé à Gannat (Allier), vend des articles pour cette activité, mais aussi pour la chasse. Il est devenu leader en France. Tom Press propose, depuis son site de Sorèze (Tarn), 2 000 références en quincaillerie.

L’agriculture est aussi grande consommatrice d’Internet, avec des machines agricoles connectées, la mutualisation du matériel, la gestion informatique du bétail, de l’eau ou de l’engrais dans les champs ou la création de circuits courts vers les consommateurs – comme La Ruche qui dit Oui ! et ses 4 000 producteurs qui alimentent des entrepôts d’où partent, chaque mois, 100 000 commandes de 40 euros à 45 euros, en moyenne, chacune.

Le tourisme aussi profite de l’économie collaborative, avec les offres d’hébergement là où il n’y a pas d’hôtel. Même Airbnb, pourtant très urbain, trouve à s’épanouir dans ces territoires réputés isolés et y aurait, selon le rapport, dégagé 10 millions d’euros de revenus de complément pour les propriétaires.

La télémédecine, enfin, est une voie d’avenir pour faire face non pas à la pénurie de généralistes, assez présents, mais à celle des spécialistes, concentrés en villes. « Hélas, la consultation en ligne n’est pas remboursée, il faudrait, sur ce point, une évolution réglementaire », suggère Victor Bernard.

Un investissement non chiffré

Le rapport se conclut sur deux propositions : d’abord, améliorer la formation des particuliers et, surtout, des chefs d’entreprise, souvent un peu perdus dans ce domaine et à la merci de prestataires. « Il faudrait créer, dans chaque région, des centres de ressources et de médiation numérique », souligne M. Bernard.

Ensuite, compléter la couverture du téléphone mobile et le raccordement au très haut débit : « Les territoires isolés ne sont raccordés qu’à 22 % et seulement 24 % des habitants ont la 4G sur leur smartphone. Cela suppose de coûteux investissements, qui, dans les zones peu denses, ne peuvent pas être pris en charge par les acteurs privés. »

Cependant, les auteurs ne chiffrent pas l’investissement et n’imaginent pas d’autre financeur que l’Etat et les collectivités locales, alors que nombre de grands et riches bénéficiaires d’un Internet performant, à commencer par Google et Airbnb, ne paient pratiquement pas d’impôt en France.