Trump s’adresse aux Européens dans un entretien iconoclaste à « Bild » et « The Times »
Trump s’adresse aux Européens dans un entretien iconoclaste à « Bild » et « The Times »
Par Thomas Wieder (Berlin, correspondant)
Cinq jours avant son entrée à la Maison Blanche, le président élu évoque l’Europe sous la forme d’un long entretien publié lundi dans deux quotidiens conservateurs, l’un allemand, l’autre britannique.
Angela Merkel ? Elle a fait une « erreur catastrophique » avec les réfugiés. L’OTAN ? Une organisation « obsolète ». Le Brexit ? « Un succès » qui devrait conduire d’autres pays à « quitter » l’Union européenne. Cinq jours avant son entrée à la Maison Blanche, Donald Trump a décidé de s’adresser à l’Europe sous la forme d’un long entretien publié, lundi 16 janvier, dans deux quotidiens conservateurs, l’un allemand, l’autre britannique, Bild et The Times, qu’il a reçus pendant cinquante minutes dans le bureau qu’il occupe encore au 26e étage de « sa » Trump Tower, à Manhattan (New York).
Interrogé par Kai Diekmann, qui quittera Bild fin janvier après en avoir été pendant quinze ans le rédacteur en chef, et Michael Gove, collaborateur du Times, ancien ministre de David Cameron et avocat du Brexit, M. Trump est d’abord interrogé sur le Royaume-Uni. A propos de ce pays où, comme il le rappelle, il a acheté un golf, il ne cache pas son enthousiasme. « Je suis un grand fan des Britanniques », assure-t-il. « Le Brexit va s’avérer être une chose géniale », poursuit-il, avant de se dire impatient de rencontrer Theresa May, la première ministre britannique, afin de conclure un accord commercial avec le Royaume-Uni, « rapidement et dans les règles ». Interrogé sur le résultat du référendum du 23 juin 2016, le président américain y voit une seule et unique cause :
« Les gens ne veulent pas que d’autres gens viennent dans leur pays et les dérangent. »
La transition est toute faite avec l’Allemagne. « Nous ne voulons pas que des gens de Syrie viennent chez nous, des gens dont nous ignorons qui ils sont, explique le président américain. Je ne veux pas faire comme l’Allemagne. A ce propos, je dois dire que j’ai beaucoup de respect pour Merkel. Mais je trouve que ce qui s’est passé là-bas est très malheureux. Vous savez que j’aime l’Allemagne, parce que mon père venait d’Allemagne. Mais je ne veux pas qu’on se retrouve dans la même situation. Nous avons déjà assez de problèmes comme ça. »
« L’Allemagne est un pays génial »
Pendant sa campagne, M. Trump avait déjà vivement critiqué la politique de la chancelière allemande à l’égard des réfugiés. Cinq jours avant sa prise de fonctions, il n’a pas changé d’avis. « Je vais la rencontrer. Je la respecte et je l’apprécie. Mais je pense que c’était une erreur. Les gens font des erreurs, mais là je pense que c’en était vraiment une grave. » A la place de Mme Merkel, qu’aurait-il fait ?
« Nous aurions dû créer des zones de sécurité en Syrie, estime le président américain. Cela aurait coûté moins cher. Et les Etats du Golfe auraient dû payer, parce qu’après tout, ils ont plus d’argent que quiconque. »
Plus encore que cette philippique, déjà connue, contre la politique migratoire de Mme Merkel, le qualificatif d’« obsolète » à propos de l’OTAN, déjà utilisé pendant sa campagne, où encore la condamnation des « sanctions qui font très mal à la Russie », ce sont les propos protectionnistes de M. Trump qui devraient provoquer les plus vives réactions en Allemagne, où la chancelière a longtemps défendu le traité de libre-échange entre l’Union européenne et les Etats-Unis, même si elle a reconnu, quelques jours après l’élection de M. Trump, qu’il aurait désormais peu de chances d’aboutir :
« L’Allemagne est un pays génial, un grand pays producteur. Quand on va sur la 5e Avenue [à New York], on voit que tout le monde a une Mercedes garée devant chez lui, pas vrai ? Or le fait est que vous [les Allemands] êtes très injustes avec les Etats-Unis. Combien de Chevrolet avez-vous en Allemagne ? Pas beaucoup, peut-être aucune, dehors on n’en voit pas une seule. Ça doit marcher dans les deux sens. Moi je veux que ça soit juste. (…) Vous pouvez fabriquer des voitures pour les Etats-Unis, mais vous devrez payer 35 % de taxes sur chaque voiture qui entre aux Etats-Unis. »
Entre Londres et Berlin, M. Trump a donc clairement choisi son partenaire privilégié en Europe. « Regardez l’Union européenne. C’est, en gros, un instrument pour l’Allemagne. C’est la raison pour laquelle je pense que la Grande-Bretagne a eu bien raison d’en sortir (…). Les individus et les pays veulent leur identité. Les Britanniques voulaient leur propre identité. Je pense sincèrement que s’ils n’avaient pas été contraints de prendre tous ces réfugiés – avec tous les problèmes qui vont avec –, alors il n’y aurait pas eu de Brexit. Ça a été la goutte qui a fait déborder le vase. Si vous me posez la question, je vous dirai qu’il y a d’autres pays qui sortiront [de l’Union européenne]. »
« Donald Trump est Donald Trump »
Si son choix est fait sur le plan politique, M. Trump tient cependant à faire savoir qu’à titre personnel, son attachement est le même pour le Royaume-Uni et l’Allemagne. C’est là d’ailleurs l’un des aspects les plus déroutants de cet entretien, où les considérations géopolitiques se mêlent aux confidences intimes.
A ce sujet, le président américain n’hésite pas à se lancer dans un autoportrait à partir des idées qu’il se fait de ces deux pays, d’où sont originaires ses parents. L’Allemagne, d’abord, d’où vient la famille de son père :
« Je suis très fier de l’Allemagne, et l’Allemagne est quelque chose de très particulier. (…) J’aime l’ordre. J’aime quand les choses sont bien rangées. Les Allemands sont connus pour ça, et moi aussi. Et j’aime aussi la force. »
Avec le Royaume-Uni, M. Trump, dont la mère était d’origine écossaise, se sent d’autres affinités. « Ma mère aimait beaucoup le cérémonial. Je crois que j’ai pris beaucoup de ce côté-là. Ma mère aimait la reine. Elle aimait le cérémonial de la cour et la beauté, personne ne connaît aussi bien ces choses que les Anglais. (…) Les Ecossais sont aussi réputés pour respecter l’argent. Moi aussi j’ai beaucoup de respect pour l’argent. Seulement je dois en gérer beaucoup, c’est mon problème. »
Interrogé par ses confrères de la Frankfurter Allgemeine Zeitung sur les conditions de réalisation de cet entretien, Kai Diekmann, rédacteur en chef de Bild, raconte que celui-ci n’a pas été relu avant publication. « Donald Trump est Donald Trump, et assurément je peux vous dire que cette conversation est l’entretien le plus étonnant que j’aie jamais fait. En effet, ses paroles ne sont pas comme du linge repassé, aucun conseiller en communication n’est passé dessus. Ce que Trump a dit, nous l’avons retranscrit tel quel, puis traduit. Cela a d’ailleurs été le plus difficile : traduire sa langue en allemand. Et quand on lit l’interview, on la lit très différemment des interviews politiques habituelles. »
M. Trump renouvellera-t-il souvent un tel exercice ? Pas sûr, à en croire ce qu’il dit lui-même à la toute fin de l’entretien, où il déclare qu’il continuera à tweeter sur son compte personnel @realDonaldTrump une fois à la Maison Blanche. Fier de rappeler qu’il totalise « 46 millions de followers sur Facebook, Twitter et Instagram », le président américain a trouvé, avec le réseau à l’oiseau, la grammaire qui lui convient.
« Ce qui est intéressant avec Twitter, c’est qu’il faut être très précis. Quand je dis quelque chose en public ou à des journaux, et que ça n’est pas reproduit avec précision, ça n’est vraiment pas bien. On ne peut pas faire grand-chose contre. Quand on tweete – et je suis prudent –, c’est exact, très exact, et ça fait du “breaking news”. »