« Le défi de Hamon, asseoir sa domination sur le parti socialiste »
Fabien Escalona : « Le défi de Hamon, asseoir sa domination sur le parti socialiste »
Propos recueillis par Camille Bordenet
Politiste et spécialiste de la social-démocratie, Fabien Escalona analyse les enjeux de la victoire de Benoît Hamon à la primaire socialiste.
Benoît Hamon quittant Matignon, à Paris, le 30 janvier. | PHILIPPE LOPEZ / AFP
Politiste et chercheur à Sciences Po Grenoble, spécialiste de la social-démocratie, Fabien Escalona analyse la percée de Benoît Hamon à la primaire socialiste, dimanche 29 janvier, et ses enjeux pour le Parti socialiste (PS) et pour la gauche. Il estime notamment que « Hamon a réussi à incarner une forme de réhabilitation des valeurs de la gauche ».
Comment analysez-vous la victoire de Benoît Hamon ?
Il y a, d’une part, le fait qu’Hamon a été le bénéficiaire d’un vote de refus de l’orientation Valls, surtout au second tour. Une partie de l’électorat de Hollande en 2012 a trouvé avec la primaire le moyen d’exprimer qu’il s’est senti floué et donc de punir ceux qui ont porté jusqu’au bout la logique gouvernementale, à l’image de Valls.
Mais au-delà du vote contestataire contre Valls, Hamon a su mobiliser deux grands atouts, notamment dans la première phase de la campagne, jusqu’au premier tour. Ses réseaux, dans le PS mais aussi dans la jeunesse du parti et dans le syndicalisme étudiant, lui ont permis de s’appuyer sur une vraie capacité militante, organisationnelle. Il a su la mobiliser à bon escient, ce qui a moins été le cas de Montebourg et de Valls. Cela a compté pour faire une campagne dynamique.
Le second atout majeur, ce sont les idées qu’il a martelées. Il a réussi à faire émerger des thèmes que l’on retrouve dans la gauche alternative et qui, surtout, ont directement parlé au vécu quotidien d’une partie des sympathisants socialistes, et plus largement des sympathisants de gauche : refus de l’austérité, volonté de dépasser la démocratie représentative telle qu’elle fonctionne aujourd’hui, souci de la question écologique mariée à la question sociale… Il a traduit tout cela en propositions phares qu’il a su imposer dans le débat, que ce soit le revenu universel, l’interdiction des perturbateurs endocriniens, le 49.3 citoyen…
Au-delà du vote anti-Valls, ce vote pour Hamon témoigne-t-il d’une volonté des électeurs de renouer avec des fondamentaux de gauche ?
Pour les sociaux-démocrates qui estiment que le quinquennat a été une dérive, Hamon a réussi à incarner une forme de réhabilitation des valeurs de la gauche, un retour aux sources bienvenu. Mon analyse, c’est par ailleurs que la social-démocratie redevient ces dernières années un champ de bataille, un espace conflictuel. Et Benoît Hamon incarne l’aile gauche de ce conflit qui est en train de s’installer dans nos social-démocraties.
On peut en effet lire sa victoire comme la révolte d’un électorat de gauche fatigué des appareils traditionnels et de leurs dirigeants depuis un certain nombre d’années. Cet électorat, composé notamment de jeunes actifs diplômés, sans forcément les revenus ou le patrimoine qui va avec, se sent mal représenté, orphelin politiquement.
C’est ce même noyau sociologique qu’on a retrouvé en partie derrière Jeremy Corbyn au Royaume-Uni – le chef de file du Parti travailliste –, derrière les gauches radicales d’Europe du Sud, et dans une moindre mesure à Nuit debout. Même si je ne suis pas sûr que les gens de Nuit debout aient participé à la primaire !
Les chercheurs britanniques ont forgé le concept d’« educated left behind » pour désigner cette catégorie de la population dont la loyauté aux solutions traditionnelles de centre-droit et de centre-gauche est fragile.
Hamon capte cette dynamique qui traverse plusieurs pays européens. Reste maintenant à voir si la dynamique qu’il a réussi à capter à l’échelle d’une primaire, où il n’y a « que » deux millions de votants, sera maintenue à l’échelle nationale, alors qu’il aura face à lui la droite, la droite radicale et d’autres candidats de gauche.
Que signifie la victoire de cette ancienne figure des frondeurs pour le PS lui-même ?
La crise du PS était déjà bien là. En cinq ans, ils ont massivement perdu des collectivités locales, des militants, des élus… En cela, la victoire d’Hamon exprime cet état de crise mais, surtout, elle annonce quelque chose de beaucoup plus fort : le début de ce que j’appellerais une phase critique, un moment d’affrontement entre des lignes antagonistes pour décider de l’avenir du parti et lui redonner une identité, alors qu’il a perdu son centre de gravité.
Deux grandes orientations ont émergé de cette primaire : celle très à droite de Manuel Valls et celle plus à la gauche, de Benoît Hamon. Les deux ont toujours été minoritaires, mais la première a davantage coïncidé avec la pratique du pouvoir.
Je pense donc qu’on va assister à un affrontement assez intense dans les mois à venir. De la même manière qu’il y a eu un affrontement au Royaume-Uni quand Jeremy Corbyn a été désigné par une primaire interne au Parti travailliste, là, vous aurez probablement une bataille avec une partie de l’appareil qui réfute l’orientation à gauche portée par Hamon.
Hamon va avoir pour défi de préserver l’unité du parti pendant la campagne et au-delà, et d’asseoir ensuite sa domination. Ce qu’on peut imaginer, c’est non seulement qu’il doive faire face à des défections mais surtout, dans le cas d’une éventuelle défaite, que l’aile droite du parti cherchera à en reprendre le contrôle.
Quel espace reste-t-il à Hamon face à Mélenchon, qui incarne déjà cette gauche alternative ?
Sur le papier, en effet le créneau est déjà occupé. Sauf qu’Hamon peut s’appuyer sur la légitimité que lui offre la primaire. Même s’il n’y a eu « que » deux millions de votants, il reste le seul candidat à gauche ayant une sorte de mandat populaire. Donc, il ne va pas se laisser déposséder de ça, il va s’en servir pour affirmer qu’il est incontournable.
Il est en position de dire « moi, je suis au cœur de la gauche, d’ailleurs je propose un accord pour qu’on aboutisse à des majorités plus tard à l’Assemblée nationale ». Il va faire l’union pour deux ou pour trois. Ses concurrents – Jadot pour EELV, Mélenchon pour La France Insoumise – seront incités à dialoguer avec lui. Et s’ils ne le font pas, beaucoup leur reprocheront. Et de toute façon, Hamon et la direction du PS pourront s’adresser directement aux appareils écologiste et communiste, en soulignant l’intérêt de s’entendre pour les législatives.
Les communistes ont décidé de soutenir la candidature Mélenchon. Mais il y a une petite clause dans le texte qu’ils ont paraphé à l’époque, qui explique bien qu’ils vont en reparler et faire une nouvelle évaluation à l’issue de la primaire à gauche. Il peut y avoir un bon nombre de dirigeants communistes qui voudront coopérer avec Hamon, parce qu’ils apprécient assez peu d’avoir dû se ranger derrière Mélenchon. Même logique du côté d’EELV : on sent bien qu’une partie de l’appareil ne verrait pas d’un mauvais œil un accord avec Hamon et le PS.
Par conséquent, dans les prochaines semaines, je n’écarte pas la possibilité que la position d’Hamon dans les enquêtes d’opinion s’améliore nettement. C’est tout à fait possible qu’il apparaisse comme le candidat de gauche le plus unitaire et le plus crédible parmi ceux qui sont actuellement en lice.
Pour l’instant, le jeu est ouvert et je ne pense pas qu’Hamon soit condamné à errer dans un espace réduit entre Mélenchon et Macron. Je pense qu’il a des atouts pour se remettre au centre du jeu : à la fois une base populaire, avec les votants à la primaire, et d’autre part sa main tendue aux appareils communiste et écologiste, qui pourraient bien lâcher leurs candidats respectifs.
Sur les sujets de fond, comment Hamon peut-il espérer se différencier de Mélenchon ?
Ils ont certes des idées en commun, mais il y a quand même un certain nombre de différences sur des enjeux de fond, notamment sur les questions économiques et européennes. Il y a par exemple cette question du revenu universel, qui est un point d’achoppement : autant cette proposition parle au milieu écologiste, autant elle n’est pas bien reçue du côté de Mélenchon et des Insoumis.
Sur la question européenne, Mélenchon va en outre essayer de montrer qu’Hamon n’est pas un candidat de gauche fiable, en expliquant notamment qu’il va se « hollandiser » dès qu’il rencontrera Mme Merkel… alors que lui, au contraire, est prêt à désobéir aux traités européens et à assumer les conséquences jusqu’au bout. Il y a donc des divergences qui existent déjà et sur lesquelles Hamon devra convaincre.
Pour le reste, je pense qu’il va insister sur son refus de jouer le rôle de l’homme providentiel, et camper sur un style de communication apaisé, ce qui peut plaire à ceux qui n’apprécient pas la personnalité de Mélenchon. Il essaiera également de prouver que lui, qui est capable de s’entendre avec toutes les familles de gauche et de donner une place à chacune dans un vaste front contre les droites, peut réellement accéder au pouvoir.
"La victoire de Benoît Hamon, c'est d'abord l'échec du pari de Manuel Valls"
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