Lorsque sera écrit, un jour, le bilan politique de Benyamin Nétanyahou, le 6 février 2017 occupera une place particulière. A cette date, sous son autorité, les députés de la Knesset ont récompensé l’expropriation de terres palestiniennes et tenté d’imposer la loi israélienne en territoires occupés, au lieu de la loi militaire en vigueur depuis 50 ans. Pour cela, ils ont adopté en dernière lecture par 60 voix contre 52 un texte ouvrant la voie à la légalisation des avant-postes construits sur des terres privées palestiniennes. Les avant-postes sont des communautés juives, de taille réduite, établies en Cisjordanie depuis près de 20 ans sans autorisation officielle, mais protégées par l’armée et bénéficiant de financements publics.

Selon le décompte de l’ONG La Paix Maintenant, 3 850 logements illégaux situés dans 53 avant-postes et des dizaines de colonies pourraient être ainsi blanchis. Les propriétaires doivent recevoir une compensation en argent ou sous forme de lot de terrain alternatif. « C’est la première fois que les députés légifèrent en dehors du territoire israélien, explique la porte-parole de l’organisation, Anat Ben Nun. Cela donne un feu vert aux colons pour construire partout, y compris sur des terres privées palestiniennes. »

« Les victimes de la loi ne sont pas des Israéliens »

Dans l’avion entre Londres et Tel Aviv au moment du vote, Benyamin Nétanyahou ne voulait pas d’une adoption définitive du texte, jusqu’à sa rencontre avec Donald Trump à Washington, le 15 février. La Maison Blanche avait demandé aux autorités israéliennes d’éviter toute action unilatérale, qui compromettrait les velléités de M. Trump dans le conflit israélo-palestinien. Mais les considérations de politique intérieure ont pris le dessus. La base des colons pousse le gouvernement vers l’annexion de la Cisjordanie, ou tout du moins de la zone C (60 % de ce territoire). D’autant que le démantèlement de l’avant-poste d’Amona, il y a quelques jours, a été vécu comme un traumatisme.

Avocat très engagé auprès de plusieurs ONG israéliennes, Michael Sfard met la dernière main à un ouvrage consacré à la lutte juridique contre l’occupation. Selon lui, le texte voté à la Knesset est « extrêmement grave et important ». D’abord parce qu’il porte atteinte « aux principes fondamentaux que sont l’égalité, la dignité ou encore le droit à la propriété ». Mais surtout, souligne-t-il, « parce que les victimes de cette loi ne sont pas des Israéliens et ne votent pas pour élire les députés. C’est la chose la plus anti démocratique qu’on puisse imaginer, c’est un trait de régime autocratique qui mérite une censure constitutionnelle ».

Selon de nombreux commentateurs, il est probable que le texte de loi sera bloqué par la Haute Cour de justice, déjà violemment critiquée par les colons pour avoir ordonné la destruction d’Amona. Le procureur général, Avichai Mandelblit, a fait connaître son opposition à son contenu et ne représentera pas le gouvernement lors de l’audience. Fin novembre, c’est Benyamin Nétanyahou lui-même qui mettait en garde ses ministres contre le projet de loi, en assurant qu’il ouvrirait la voie à des poursuites judiciaires internationales contre les dirigeants israéliens.

« Maisons construites par accident »

Mais depuis l’entrée de Donald Trump à la Maison Blanche, le premier ministre découvre le vertige de la conduite sans feux rouges. Il est engagé dans une fuite en avant, dénoncée par l’Union européenne et l’ONU, avec une obsession : ne pas perdre l’électorat national religieux au profit de son ministre de l’éducation, Naftali Bennett. Une fuite d’autant plus éperdue que le premier ministre est cerné par plusieurs enquêtes pénales pour corruption, mettant en cause à la fois son mode de vie luxueux, sa confusion entre intérêts publics et privés et ses sombres desseins pour contrôler les médias.

Certains experts s’évertuent à défendre la légalité de cette initiative parlementaire, malgré les résolutions continues du Conseil de sécurité de l’ONU contre la colonisation. Parmi eux, Eugene Kontorovich, professeur à la Faculté de droit de la Northwestern University et chef du département de droit international au Kohelet Policy Forum, un cercle de réflexion proche de la droite israélienne. Selon lui, le projet de loi « n’a rien à voir avec l’annexion ». « Il s’agit seulement de résoudre un problème délicat, dit-il. Des maisons ont été construites par accident sur des terres privées, mais les propriétaires ne se sont pas manifestés pendant des décennies. »

Le professeur Kantorovich rejette également l’argument selon lequel ce projet de loi pourrait activer des procédures judiciaires contre les dirigeants ou les hauts gradés israéliens. « Pour le procureur de la Cour pénale internationale, dit-il, chaque bâtiment en Judée-Samarie [nom biblique de la Cisjordanie] est un crime de guerre potentiel. Ne pas passer ce projet de loi ne mettrait donc pas Israël à l’abri. » Tel n’était pas l’avis du leader travailliste Isaac Herzog, lundi soir, qui dénonçait une « annexion de facto », dans l’enceinte de la Knesset. « Le train qui part d’ici ne s’arrêtera qu’à La Haye », disait-il, tandis que la droite nationale religieuse saluait un jour « historique ».