Tokyo et Séoul ne badinent pas avec leurs bouddhas
Tokyo et Séoul ne badinent pas avec leurs bouddhas
M le magazine du Monde
La justice sud-coréenne a décidé que la statuette du bodhisattva Kanzeon, volée en 2012 au temple Kannonji sur l’île japonaise de Tsushima, resterait en Corée.
Le supérieur du Buseoksa, en Corée du Sud, montre la photo de la statuette du bodhisattva Kanzeon, dérobée en 2012 au Japon. | Ko Sasaki/The New York Times/Redux/REA
A pirate, pirate et demi. Tel semble être le destin des statues bouddhiques, condamnées à errer entre le Japon et la Corée du Sud, sur fond de chicaneries persistantes entre les deux voisins. Dernière tribulation en date, celle d’une statuette de bodhisattva, appelé Kanzeon au Japon et Gwaneum en Corée, dérobée par des voleurs sud-coréens en 2012 au temple Kannonji, sur l’île japonaise de Tsushima.
Le 26 janvier, le tribunal de Daejeon, en Corée du Sud, a ordonné de la remettre au temple coréen Buseoksa, à Seosan, qui affirme en être le propriétaire originel. « Le jugement est profondément regrettable », a réagi le porte-parole du gouvernement nippon, Yoshihide Suga, qui a demandé au gouvernement sud-coréen d’agir dans les meilleurs délais pour la restitution de la statue au Japon. L’œuvre est inscrite sur la liste des biens culturels du département de Nagasaki (sud-ouest du Japon), dont dépend l’île de Tsushima, et avait été volée en même temps qu’une autre statue et des sutras. Les voleurs avaient réussi à gagner la Corée du Sud. À la demande de Tokyo, Séoul avait ouvert une enquête et arrêté les contrebandiers début 2013. L’une des statues, datant de la période unifiée de Silla (672-918), a ensuite été rendue au Japon mais la seconde a fait l’objet d’une enquête approfondie, à la demande du Buseoksa. Comme souvent, l’histoire complexe des liens entre les deux voisins a été convoquée.
Une avancée pour la restitution des biens coréens
L’affaire a mobilisé l’ensemble des ordres bouddhistes sud-coréens, à commencer par le puissant Jogye. D’après les responsables du Buseoksa, le temple aurait possédé la statue pendant quarante ans à partir de 1330 (dynastie de Koryo, 918-1392), date présumée de sa réalisation, jusqu’à un pillage par des pirates japonais. Entre les XIVe et XVIe siècles, les forbans nippons, appelés wako en Corée, écumaient les côtes des deux pays. Plusieurs de leurs bases se trouvaient sur Tsushima. Pour déterminer si la statue avait bien été dérobée par les wakos, des experts ont été mandatés.
S’appuyant sur leurs conclusions, fondées sur l’absence de documents attestant d’un don au temple japonais Kannonji, le tribunal de Daejeon a estimé que la statue avait appartenu au temple Buseoksa. Tout en admettant que le vol par des wakos n’était pas clairement établi, il a jugé qu’elle s’était retrouvée au Kannonji « selon un processus peu ordinaire ». Le tribunal a donc demandé au gouvernement sud-coréen de la rendre à son propriétaire d’origine.
Le vénérable Wonwoo, supérieur du Buseoksa, a salué le jugement estimant qu’il représentait une avancée pour la restitution des biens coréens dispersés dans le monde. Selon l’Institut national de recherche sur l’héritage culturel, 66 295 œuvres se trouvent au Japon, dont une partie transportée là pendant la période coloniale, entre 1910 et 1945, 42 293 aux États-Unis ou encore 10 792 en Allemagne. Mais il y en a également en Chine et en France.
Lire aussi (édition abonnés) : La France restitue des manuscrits historiques à la Corée du Sud