L’exécutif continue de refuser les récépissés de contrôles d’identité
L’exécutif continue de refuser les récépissés de contrôles d’identité
Par Julia Pascual, Jean-Baptiste Jacquin
Cédant aux policiers, le gouvernement privilégie le port de matricule et de caméra, alors que la justice reconnaît des discriminations.
Une manifestation contre les violences policières, à Nantes le 11 février. | JEAN-SEBASTIEN EVRARD / AFP
Le récépissé de contrôle d’identité ne renaîtra pas de ses cendres. Enterré dès septembre 2012 par Manuel Valls, alors ministre de l’intérieur, et malgré la promesse de campagne du candidat Hollande, cet outil censé lutter contre les contrôles au faciès ne sera pas remis au goût du jour. L’actuel ministre de l’intérieur, Bruno Le Roux, l’a redit jeudi 9 février devant le Sénat, justifiant sa position par un argument pratique : le récépissé « entraînerait une forme de lourdeur ».
« Sommes-nous prêts demain à faire dans notre pays un fichier des personnes contrôlées dans nos quartiers ? Moi, je ne m’y résous pas », a fait valoir le ministre. L’argument ne résiste pas face aux diverses modalités qui pourraient être choisies pour ce récépissé – notamment celle préconisée par le Défenseur des droits : la délivrance d’une attestation nominative enregistrée mais avec un double anonymisé conservé par le policier.
C’est surtout la crainte d’un conflit ouvert avec les policiers qui a eu raison des promesses de la gauche. Les syndicats de la profession sont en effet opposés à ce qu’ils assimilent à un outil de stigmatisation.
Le gouvernement a choisi des pis-aller. Rendu obligatoire fin 2013, le port du « matricule » sur l’uniforme devait permettre d’identifier le policier par un numéro à sept chiffres… mais il n’est pas toujours porté de manière visible ou lisible. Autre mesure : la caméra piéton. Un outil « à mon avis bien plus opérationnel qu’un récépissé », a insisté Bruno Le Roux le 9 février, annonçant l’arrivée de 2 600 caméras à déclenchement automatique au sein de la police et de la gendarmerie. En réalité, ce chiffre correspond aux caméras déjà déployées dans le cadre d’une expérimentation initiée en 2013, principalement dans les zones de sécurité prioritaires.
Plébiscitée par les policiers parce qu’elle permet un apaisement des interactions et parfois la constitution de preuves, la caméra piéton a bien vocation à être déployée plus largement. En revanche, ce sont les fonctionnaires qui décident de filmer ou pas leur intervention. L’enregistrement systématique des contrôles d’identité attend un décret d’ici le 1er mars pour être expérimenté.
Pour l’avocat Slim Ben Achour, qui a plaidé le dossier emblématique des « contrôles au faciès », à l’issue duquel l’Etat a été condamné par la Cour de cassation en novembre 2016, la caméra « n’est pas la panacée ». « Elle ne nous renseignera pas sur le motif du contrôle, souligne l’avocat. Or l’intérêt du récépissé est qu’il oblige le policier à renseigner la raison du contrôle. Ce qui le pousse à avoir une pratique plus objective et nous éviterait bien des violences. »
« Ni le port individuel d’un matricule, ni l’enregistrement de l’opération de contrôle (…) ne sauraient faire l’économie d’une formalité écrite, comme la rédaction d’un procès-verbal ou la remise d’un récépissé », estime aussi la Commission nationale consultative des droits de l’homme dans un rapport de novembre 2016.
« Caractéristiques physiques »
Aujourd’hui, même la police n’est pas en mesure de savoir combien de contrôles sont effectués. Plusieurs millions seraient réalisés chaque année et environ 95 % des contrôles ne déboucheraient sur la découverte d’aucune infraction. Plusieurs études ont mis en évidence le surcontrôle des jeunes hommes issus des quartiers populaires et des minorités visibles.
Coup sur coup, la Cour de cassation en novembre puis le Conseil constitutionnel en janvier ont officiellement reconnu que la pratique pouvait être discriminatoire. La haute juridiction a définitivement condamné l’Etat pour faute lourde dans trois cas de contrôles jugés « discriminatoires ». Les trois victimes ont apporté la preuve que ces contrôles avaient été « fondés sur des caractéristiques physiques associées à une origine réelle ou supposée », sans que l’administration puisse apporter aux juges de « justification objective » motivant un contrôle d’identité sur ces personnes.
A l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), la loi permettant les contrôles a été validée. Mais le Conseil constitutionnel a solennellement rappelé que le législateur a prévu ces contrôles pour rechercher des auteurs d’infraction ou pour en prévenir la commission. Dans sa décision du 24 janvier, il souligne que la loi ne saurait « autoriser la pratique de contrôles d’identités généralisés dans le temps ou dans l’espace ». Une pratique pourtant courante au parquet de Paris, qui ordonne à la police d’effectuer des contrôles non-stop dans certaines zones.
Les tribunaux ont été rappelés à leur devoir de « censurer et de réprimer » les contrôles abusifs ou discriminatoires. L’avocat Maxime Cessieux, après cette première QPC, en prépare déjà une autre sur un second cas légal de contrôles d’identité. Avec l’idée que cela amènera la police à corriger ses pratiques, à faire moins d’opérations de contrôle et donc à mieux les cibler.