La flèche de Saint-Denis reconstruite sous conditions
La flèche de Saint-Denis reconstruite sous conditions
Par Florence Evin
La ministre de la culture a donné son accord, avec des réserves, à un projet réclamé par les élus locaux.
La basilique de Saint-Denis dans son état actuel, sans sa flèche démontée en 1847. | 2BDM ARCHITECTURE ET PATRIMOINE
La basilique de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), nécropole des rois de France de Dagobert à Louis XVIII, prototype des cathédrales et modèle de Notre-Dame de Paris, devrait retrouver sa flèche de 85 mètres, élevée entre 1190-1230. Celle-ci, fragilisée en 1846 par une violente tornade qui avait mis à terre douze clochers de la région, menaçait de s’écrouler et fut démontée en 1847. Depuis des décennies, les maires de Saint-Denis réclament en vain la reconstruction du clocher. Une cause en passe d’être gagnée.
Mardi 14 février, après avoir rencontré les élus favorables à la reconstruction – Patrick Braouezec (FDG), le président de Plaine Commune, et Laurent Russier, le maire de Saint-Denis (FDG) – et reçu le soutien de Valérie Pécresse (LR), la présidente de la région Ile-de-France, la ministre de la culture, Audrey Azoulay, a donné un accord de principe à ce projet. Lequel dort dans les cartons du ministère depuis Jack Lang : « J’avais annoncé, en 1992, que nous lancions les travaux de reconstruction », dit l’ancien ministre en se réjouissant de voir le projet d’actualité. Le changement de majorité à l’Assemblée nationale en avait décidé autrement.
L’accord est cependant en demi-teinte. En effet, Mme Azoulay lance les études de mise en œuvre du chantier tout en prenant en compte les réserves émises, le 30 janvier, par la Commission nationale des monuments historiques, au regard des principes généraux de restauration des monuments et de l’ancienneté du démontage de la flèche. Il est question de l’interprétation de la Charte de Venise : jusqu’où reconstruire et laisser visible la trace du temps.
Trois conditions sont posées par la ministre. D’abord, « faire la preuve du caractère exceptionnel du chantier en matière d’utilité sociale, d’adhésion et de participation populaire ». Source de lien social, un chantier école est réclamé par la mairie. A Jacques Moulin, architecte en chef des monuments historiques chargé de l’édifice classé, de l’organiser en l’ouvrant aux visiteurs. Pilote depuis dix-huit ans d’une même opération au château fort de Guédelon, dans l’Yonne, avec les techniques de l’époque, le tout financé par la billetterie, il sait de quoi il retourne.
Chantier pédagogique à visiter
« Avec cinq millions de visiteurs en trois ans, Guédelon est un succès incroyable. Et un enseignement formidable suivi par les équipes de l’université de Lyon. Au départ, on a été snobé par les érudits. Depuis, les plus réticents sont les premiers à en faire la promotion », note-t-il. Ce principe d’un chantier pédagogique à visiter serait donc proposé à Saint-Denis. « Il faut attirer un public de non-spécialistes, plaide M. Moulin. Le monument vivote avec 100 000 visiteurs par an. Si nous ne renouvelons pas l’intérêt public de manière originale, pétillante, on va assister à un désintérêt pour les monuments, pour le patrimoine. Il est temps de réagir. »
Deuxième condition posée par Audrey Azoulay : s’assurer, par des investigations complémentaires, que « le massif occidental de la basilique pourra supporter sans dommage le chantier, et le poids d’une tour reconstruite ». Jacques Moulin assure que des sondages seront faits dans les maçonneries. « Nous avons tous les plans et les relevés de l’intérieur des murs, et même des photos. 70 planches dessinées sont conservées », indique l’architecte.
Photo anonyme du XIXe siècle, prise avant le démontage du clocher. | MUSÉE D'ART ET D'HISTOIRE DE SAINT-DENIS
Une précieuse documentation, rassemblée par son lointain prédécesseur, François Debret, qui avait décidé du démontage et numéroté les blocs. Trois cents pierres sont conservées, soit 8 % des besoins. Les blocs manquants seront taillés dans un calcaire équivalent des carrières de la Marne.
Enfin, la ministre exige que l’opération soit autofinancée par les recettes des visites du chantier et par le mécénat. L’Etat ne contribue qu’aux travaux indispensables sur la basilique. Jack Lang s’en émeut : « C’est regrettable que l’Etat ne participe pas au projet, c’est un monument d’Etat. » Deux à trois millions d’euros sont à trouver pour les échafaudages nécessaires au chantier et l’ajustement du projet avant que l’autorisation des travaux soit donnée.