En Afrique, entre écoles et entreprises, le dialogue est encore à la peine
En Afrique, entre écoles et entreprises, le dialogue est encore à la peine
Par Myriam Dubertrand (contributrice Le Monde Afrique)
Le manque d’adéquation entre besoins de l’économie et formations des étudiants pousse les recruteurs internationaux à créer des partenariats.
Le déphasage entre les formations offertes aux étudiants et les besoins de l’économie est l’un des gros problèmes de l’Afrique. Une inadéquation qui pourrait être résolue, du moins en partie, par un dialogue plus constructif entre les écoles et les entreprises : offres de stages, interventions de professionnels au cours des cursus de formation, participations des entreprises à l’élaboration des référentiels pédagogiques.
« Trouver de jeunes diplômés à la tête bien remplie, c’est facile, soulignait la directrice des ressources humaines d’un grand groupe de BTP lors d’un colloque, mais hélas, ils manquent de bon sens professionnel. » Un bon sens qui s’acquiert, selon elle, au moyen de stages. « Des candidats en décalage par rapport aux besoins des entreprises ? J’en rencontre tous les jours !, confie Fanta Traoré-Ginzburg, directrice du cabinet de recrutement Empower Talents & Careers. Les jeunes n’ont souvent aucune pratique et s’ils ont fait des stages, ceux-ci ne sont pas suffisamment professionnalisants », regrette la recruteuse. « Toutes les sociétés que j’ai rencontrées, dont Razel-Bec, Sitarail, Sogea-Satom, CFAO, ont exprimé leur préoccupation de développer un meilleur dialogue avec les écoles », confirme Mohamed Diakité, directeur de RH Excellence Afrique (REA).
L’ambition de ce programme, initié par le Conseil français des investisseurs en Afrique (CIAN) et la Fondation AfricaFrance ? Développer une véritable concertation entre les établissements d’enseignement et les sociétés pour aboutir enfin à des formations en adéquation avec les besoins de l’économie. Car le décalage est bien réel. « En Côte d’Ivoire, par exemple, il est facile de recruter des directeurs financiers, des comptables, des contrôleurs de gestion. En revanche, les profils techniques (ingénieurs, techniciens supérieurs…) sont rares », illustre Alban Mariau, manager du cabinet de recrutement Fed Africa. Pour le chasseur de têtes, le problème de communication ne se limite d’ailleurs pas aux relations entre écoles et entreprises, mais concerne aussi les pouvoirs publics.
« Apprendre à apprendre »
Où est-ce que le bât blesse ? Les systèmes éducatifs privilégient les études longues et théoriques. Côté entreprises, peu d’entre elles se sentent concernées par la question, considérant que la formation initiale relève des compétences de l’Etat. De plus, les relations avec les écoles sont une activité jugée chronophage, surtout pour des PME et TPE absorbées par la gestion du quotidien. Enfin, certains s’interrogent sur la mission de l’enseignement : est-ce d’ouvrir l’esprit des jeunes pour leur « apprendre à apprendre » ou de les formater aux besoins de l’économie ?
Face à deux mondes qui ne se parlaient pas ou peu, le programme REA a décidé de jouer les entremetteurs. Malgré un retard à l’allumage – le lancement opérationnel date de septembre 2015 – les choses avancent peu à peu. A ce jour, 37 établissements sont affiliés, c’est-à-dire engagés dans le processus. Objectif pour 2017 ? « Porter ce nombre à 45, voire 50 », explique le directeur de REA. Quant aux premières labellisations, elles ne devraient pas intervenir avant 2018. Le message pour convaincre les entreprises ? Des relations fructueuses avec les écoles améliorent la compétitivité en réduisant les coûts de recrutement.
Certains établissements l’ont bien compris, notamment les écoles de commerce. Exemple : BEM Dakar, qui en a fait sa marque de fabrique. Ainsi, dès sa création en 2008, l’établissement a conclu de nombreux partenariats avec des sociétés locales et des multinationales (CCBM, Patisen, Groupe Chaka, CBAO, KPMG, Sanofi…) « Deux fois par an, nous réunissons les entreprises membres du comité d’orientation stratégique de l’école afin d’élaborer des programmes en phase avec leurs besoins, les évolutions des métiers et les nouveaux enjeux économiques », explique Malick Faye, directeur des programmes et accréditations de BEM Dakar. Près de la moitié des intervenants sont des professionnels. « Quant à nos étudiants, ajoute-t-il, nous les immergeons le plus possible dans le monde de l’entreprise pour qu’ils acquièrent une expérience professionnelle suffisante et décrochent un premier emploi. » Chaque année, l’école envoie ses 300 étudiants en stage pour des périodes d’un à six mois.