AUREL

Enfin ! Condamnée à la paralysie depuis des années, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a pu se targuer, mercredi 22 février, d’une avancée historique. L’accord sur la facilitation des échanges commerciaux, conclu en 2013, a finalement pu entrer en vigueur. Il lui fallait pour cela être ratifié à la majorité des deux tiers parmi les Etats membres : une étape franchie mercredi grâce au ralliement du Rwanda, d’Oman, du Tchad et de la Jordanie et qui permet d’oublier, pour un temps, l’impasse du cycle de Doha.

« Cela démontre un engagement en faveur du système multilatéral », s’est réjoui le directeur général de l’OMC, Roberto Azevêdo. Une déclaration qui fait mouche au moment où l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, aux Etats-Unis, menace comme jamais tout l’édifice du commerce international. Le nouveau locataire de la Maison Blanche et son représentant au commerce, Robert Lighthizer, ont promis d’adopter une ligne dure pour défendre les intérêts américains dans la mondialisation. Quitte à bousculer les principes édictés au sein de l’OMC, arbitre depuis 1995 des échanges internationaux.

« Retrouver son sens »

Mercredi, M. Azevêdo, qui brigue un deuxième mandat à la tête de l’OMC, s’est dit confiant dans la capacité de son institution à travailler avec l’administration américaine. « L’expression d’opinions différentes, cela fait partie de notre travail quotidien », a rappelé le Brésilien. Il n’empêche. « Etonnamment, presque personne n’a encore relevé publiquement que les projets de M. Trump sont en totale contradiction avec les règles de l’OMC », souligne Jean-Marc Siroën, professeur à l’université Paris-Dauphine. L’économiste y voit le signe que l’organisation sise à Genève est « un peu sortie des radars » alors que les négociations qu’elle conduit « n’intéressent plus personne ».

Déjà enlisée, l’OMC risque-t-elle de sombrer sous l’effet Trump ? D’une certaine façon, le positionnement va-t-en-guerre d’un président américain promettant des représailles commerciales au Mexique et à la Chine pourrait remettre l’institution au centre du jeu. « L’OMC retrouve ici son sens, estime ainsi Philippe Martin, professeur au département d’économie de Sciences Po. Pas l’OMC conquérante cherchant à accroître la libéralisation des échanges, mais celle de l’organe de règlement des différends [ORD] dont l’enjeu est d’éviter une guerre commerciale. »

De l’aveu des experts, cette activité de juriste consistant à faire respecter la loi du commerce international a jusqu’ici prouvé son efficacité. Depuis sa création, plus de 500 cas ont été portés devant ses juges. Fait notable pour une organisation internationale, elle a su les arbitrer sans engendrer de conflit majeur entre les pays plaignants et ceux condamnés.

A court terme, les Etats-Unis devraient largement recourir à l’antidumping pour élaborer des mesures de protection commerciale. Un système de défense autorisé sur le principe mais qui risque de déclencher une série de plaintes de la part des pays visés. A charge pour l’OMC d’éviter que les tensions ne dégénèrent.

« Menace existentielle »

« Jusqu’ici, elle s’est très bien acquittée de son rôle, affirme Sébastien Jean, directeur du Centre d’études prospectives et d’informations internationales. Mais le danger est qu’elle se retrouve surchargée alors qu’elle dispose de moyens limités. » Fin 2016, Thomas Graham, président de l’organe d’appel – clé de voûte de l’ORD –, disait voir se profiler un « tsunami » de nouveaux cas. Et prévenait qu’il y aurait « presque certainement des retards et des files d’attente ».

Couplé à sa mission de surveillance, le gendarme OMC a pour l’instant contribué à éviter une explosion du protectionnisme. « L’OMC n’a pas perdu sa légitimité », défend Pascal Lamy, son ancien directeur général. Le Français reconnaît toutefois que « la préservation de ce système peut devenir un enjeu ». Et de préciser : « Il est probable que l’administration Trump va essayer de l’affaiblir. A l’extrême, ses décisions peuvent poser une menace existentielle à l’OMC. »

Le premier test grandeur nature pourrait être le projet de réforme fiscale défendu par le président républicain de la Chambre des représentants, Paul Ryan. Celui-ci prévoit une taxe aux frontières qui pénaliserait les produits importés tout en exonérant les exportations. Une mesure absolument « OMC non compatible » selon les proches de l’institution, qui pourrait valoir une lourde condamnation à Washington. « Dans un tel scénario, prédit M. Martin, les Etats-Unis risquent d’en sortir, et il sera alors très difficile pour elle de continuer à travailler. »