Migrants à Calais : les associations dénoncent « un déni incompréhensible, inacceptable »
Migrants à Calais : les associations dénoncent « un déni incompréhensible, inacceptable »
Par Anne Guillard
Quatre mois après le démantèlement de la « jungle », les signes d’une reprise des arrivées de migrants dans la région s’accumulent. Et aucun dispositif d’urgence n’a été déployé.
Jean-Claude Lenoir, président de l'association Salam, pose le 22 février à Calais. | Olivier Laban Mattei / MYOP pour Le Monde
« C’est de plus en plus compliqué. » Adèle vient chaque jour de Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais) faire une maraude matinale à la gare de Calais-Ville et ses alentours. Arborant un gilet jaune siglé Salam, du nom de l’association historique du Calaisis qui s’est occupée des migrants dès la fin des années 1990, elle avoue son « impuissance » face au retour des réfugiés.
Car, quatre mois après le démantèlement de la « jungle », vaste bidonville où s’entassaient des milliers de migrants, les signes d’une reprise des arrivées dans la région s’accumulent. Un phénomène que les autorités tentent d’endiguer, comme l’illustre la fermeture annoncée, jeudi 23 février, par la préfecture du Pas-de-Calais, d’aires d’autoroutes prisées des passeurs.
« Rien qu’en janvier, 2 100 personnes ont été découvertes cachées dans des camions à Eurotunnel ou aux ports de Calais et Dunkerque », s’alarme David Sagnard, président de la Fédération nationale des transports routiers du Pas-de-Calais.
« Le plus dur, c’est les enfants »
Salam a redémarré les maraudes dès le 2 janvier. Le mardi 21 février, Adèle, ancienne infirmière, est accompagnée de deux bénévoles, ex-salariés de la Vie active – association mandatée par l’Etat pour gérer le centre d’accueil provisoire (CAP) au temps de la jungle. Elle distribue pain, fruits et boissons chaudes à une petite vingtaine de réfugiés, sous l’œil des gendarmes postés continuellement à la gare.
« Ils ont peur, dit-elle, des forces de l’ordre », qui les arrêtent et les emmènent au centre de rétention de la police aux frontières, à Coquelles, une commune limitrophe, avant de les relâcher, faute de place.
Face à la vingtaine de jeunes hommes et jeunes femmes, fatigués par des nuits passées dans le froid à tenter de passer « au UK », Adèle – que certains appellent « mummy » car ils étaient là du temps de la « jungle » et sont revenus de centre d’accueil et d’orientation (CAO) où ils avaient été conduits – reconnaît que « certains jours, on aurait envie de faire l’autruche ». « Le plus dur, c’est les enfants », lâche Ludo, l’un des bénévoles qui l’accompagne.
Le groupe de migrants demande comment se rendre à Dunkerque, pour rejoindre le camp de la Linière à Grande-Synthe, débordé, et embarque dans un bus régulier en faisant de grands gestes à Adèle. Ce matin, les bénévoles croiseront une cinquantaine d’exilés en une heure et demie.
« Un véritable gâchis »
Pour Jean-Claude Lenoir, le président de Salam, la situation actuelle à Calais constitue « un véritable gâchis ». De son point de vue, le gouvernement, s’il avait été « long à prendre la mesure des choses », s’était finalement engagé « depuis deux ans » dans « une direction » qu’il tient « à saluer » : l’instauration de distributions de repas d’abord, suivie de l’installation du CAP Zone des dunes, à l’est de la ville.
« Le démantèlement du vaste bidonville, fin octobre 2016, a été une bonne chose », ajoute-t-il, dans la mesure où il s’accompagnait d’« un hébergement inconditionnel dans les CAO et la non-reconduite des gens dublinés [relevant du règlement Dublin II] ». « On était arrivé à des chiffres qui n’étaient plus tenables », rappelle M. Lenoir : la population du camp de la Lande était estimée, fin juin 2016, à quelque 10 000 personnes par les associations.
Mais, aujourd’hui, ce pionnier de l’aide aux migrants dans le Calaisis estime que la situation est à nouveau en passe de redevenir difficilement contrôlable. « Au printemps, on peut penser qu’ils [les migrants] recréeront des dispositifs sauvages », déclare-t-il. Car rien n’a été mis en place pour anticiper les retours qui s’annonçaient possibles, voire probables, ou les nouvelles arrivées, ni pour les encadrer. Et la période préélectorale actuelle ne facilite pas les choses.
Une structure d’accueil d’urgence refusée
« Comme d’habitude, les pouvoirs publics font l’autruche », affirme la présidente de la Plate-forme de soutien aux migrants (PSM), Martine Devries. « Aucun plan grand froid n’a été ouvert, c’est le centre de rétention qui fait office de, même si on n’a trouvé personne en hypothermie à ce stade », tient-elle à préciser. « Ça va être comme ça jusqu’aux élections. S’ils y arrivent », prévient-elle.
Les associations avaient pourtant réclamé un dispositif d’accueil d’urgence à Calais : « de très courts séjours suivis d’un dispositif de départs collectifs en CAO », précise le président de Salam. Le rapport Aribaud-Vignon, remis au premier ministre en janvier, avait, quant à lui, proposé « la mise en place d’une structure d’accueil d’urgence minimaliste sur le territoire de Calais » afin de recevoir « pour un temps très court les flux rémanents après le démantèlement de la jungle ».
Mais cette dernière option a été repoussée par le gouvernement. En raison de la « crainte d’un appel d’air », à en croire Jérôme Vignon, le président de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale, l’un des auteurs du rapport. Le 7 novembre, Bernard Cazeneuve, alors ministre de l’intérieur, avait pourtant promis, devant deux cents personnes réunies à Calais, « la mise en place d’un dispositif humanitaire qui demeurera, et mobilisera les acteurs associatifs dans une relation de confiance ».
« Les mêmes erreurs qu’après Sangatte »
Compte tenu de la situation actuelle, M. Lenoir voit se profiler « le même schéma qu’après la fermeture du centre de Sangatte » en 2002 par le ministre de l’intérieur de l’époque, Nicolas Sarkozy, les « mêmes erreurs » : le harcèlement des migrants par les forces de l’ordre et l’intimidation des bénévoles.
« Le gouvernement, après avoir été bon, rate la dernière marche », dont le récent démantèlement complet des containers du CAP est le symbole et amène à un « déni incompréhensible et inacceptable », s’emporte le président de Salam. « On se pose la question de refaire une distribution de repas, la même question qu’il y a quinze ans, c’est dramatique, se désole-t-il. On avait le devoir de laisser un dispositif pérenne. »
« La politique du zéro migrant mise en œuvre – un travail de fourmi, rien de spectaculaire – est vouée à l’échec », appuie Mme Devries. « Une politique d’immigration, c’est autre chose », dont elle dit ne rien entrevoir chez les candidats à l’élection présidentielle.
Au moment où le Secours catholique se voit empêcher d’installer des douches dans ses locaux de la rue de Moscou par la mairie Les Républicains de Calais et a saisi le Défenseur des droits, huit associations, dont Salam et le Secours catholique, ont publié mardi 28 février une lettre ouverte aux ministres de l’intérieur et du logement pour alerter des « nombreuses personnes en danger » dans la région de Calais, « compte tenu des conditions de vie dans lesquelles elles sont maintenues du fait de l’absence totale du moindre accueil », quatre mois après le démantèlement de la « jungle ».
Bruno Le Roux, le ministre de l’intérieur, doit se rendre à Calais mercredi, a confirmé une source proche du ministère, selon la Voix du Nord du 24 février. Une première visite dans un contexte tendu, où selon Gilles Debove, syndicaliste chez Unité-SGP-Police-FO, des policiers ont été caillassés par « entre 20 et 50 migrants » dans la nuit de jeudi à vendredi.