Le FN au Parlement européen sous la loupe d’une eurodéputée PS
Le FN au Parlement européen sous la loupe d’une eurodéputée PS
Par Cécile Ducourtieux (Bruxelles, bureau européen)
Pervenche Berès a étudié les prises de positions et votes des élus frontistes depuis leur entrée en force dans l’Hémicycle de Strasbourg.
Marine Le Pen (FN), au Parlement européen, le 14 septembre 2016. | FREDERICK FLORIN / AFP
La chef de file des élus socialistes au Parlement européen, Pervenche Berès, s’est penchée sur l’activité réelle du Front national à Strasbourg. Le parti d’extrême droite a fait de cet hémicycle son « camp de base », après y être entré en force en 2014 (il compte aujourd’hui 20 eurodéputés). De ses observations, Mme Berès a tiré un essai rendu public jeudi 16 mars par la Fondation Jean-Jaurès.
Si les élus frontistes savent tirer de l’institution un parti médiatique et financier – deux assistants parlementaires d’eurodéputés frontistes ont été mis en examen dans le cadre de l’enquête sur des emplois présumés fictifs du FN –, dans les commissions où s’effectue le gros du travail parlementaire, « leur action consiste pour l’essentiel à faire acte de présence », estime Mme Berès, et à déposer « des milliers de questions écrites et propositions de résolution à la portée nulle ».
Cette politique du chiffre a un coût : plus de 1,5 million d’euros depuis 2014 en frais de traitement pour le Parlement. Beaucoup de questions concernent le bien-être animal : pièges à glu, porte-clés animaux, etc. A elle seule, la députée Dominique Bilde a posé plus de 275 questions écrites à la Commission européenne depuis août 2014.
Sur le fond, « la délégation FN ne fonctionne qu’à partir de la logique nationaliste », accuse l’élue socialiste. Sur les sujets internationaux, le FN vote « quasi-systématiquement contre toutes les résolutions qui dénoncent l’attitude de Moscou », indique-t-elle. En décembre 2016, plusieurs eurodéputés FN se sont réjouis en plénière de la « libération d’Alep », en pleine tragédie humanitaire.
« Obsession »
En commissions agriculture ou environnement, ajoute l’eurodéputée PS, « Sophie Montel, Dominique Bilde ou Louis Aliot multiplient les interventions pour faire interdire l’abattage rituel hallal ou casher. Lors du premier séminaire de travail du groupe ENL [le groupe parlementaire formé autour du FN à Strasbourg] en février 2016 à Cracovie, Jean-Luc Schaffhauser affirmait sans détour que “l’islam est conquérant, l’islam a décidé de faire la guerre, l’islam est guerre” ».
Ces eurodéputés ont voté contre les huit rapports présentés au Parlement depuis 2014 renforçant les droits des femmes, relève encore Mme Berès : contre le congé maternité à 20 semaines partout dans l’Union, contre un salaire égal à compétences égales. « A écouter Dominique Martin en commission emploi, il faudrait cantonner les femmes au foyer », note Mme Berès.
La migration ? « Cela vire à l’obsession, estime-t-elle. Le groupe ENL vote presque systématiquement contre tous les textes présentés en commission libertés civiles, justice et affaires intérieures. Il a ainsi rejeté les propositions concernant la relocalisation des demandeurs d’asile entre Etats membres et s’oppose à la réinstallation des réfugiés depuis un pays tiers. »
L’espace Schengen ? « L’Europe est une passoire », répètent les élus frontistes, il faut l’abroger et rétablir les frontières nationales. « Ils oublient toujours de mentionner que, dans Schengen, le rétablissement temporaire des contrôles aux frontières intérieures est possible et que la France a utilisé cette possibilité à compter du 13 novembre 2015 », indique Mme Berès. En février 2017, lors du vote pour renforcer les contrôles aux frontières extérieures de Schengen, proposé par Bruxelles après les attentats de Paris, « Marine Le Pen était absente, ses collègues frontistes se sont abstenus, sauf Gilles Lebreton qui a même voté contre cette résolution ».
« En contradiction avec leurs discours »
« Alors qu’ils se targuent d’être du côté des industries face à la mondialisation », les élus FN n’ont pas pesé lors du débat sur la modernisation de la lutte européenne antidumping pour mieux se protéger de l’acier chinois à bas prix, rappelle Mme Berès, et dans de nombreuses commissions (emploi et affaires sociales, transport et tourisme, etc.), ils appellent à la fin de l’application de la directive travailleurs détachés. « Marine Le Pen rejette la modernisation et les améliorations de cette directive, qui n’ont d’autre objectif que de mieux protéger les travailleurs. Elle s’est abstenue en 2014 lors de l’adoption de la directive d’exécution visant à corriger plusieurs failles constatées », souligne encore l’eurodéputée PS.
En commission industrie, l’annonce de la fermeture de l’usine Caterpillar en Belgique et d’Alstom à Belfort a suscité le vote d’une résolution pour des solutions de lutte contre la désindustrialisation, indique Mme Berès, qui précise qu’à l’exception de Florian Philippot, les élus FN ont voté contre.
Les élus FN, Mylène Troszczynski en tête, sont aussi vent debout contre une directive proposée après les attentats du Bataclan, afin d’interdire la vente d’armes semi-automatiques. « C’est frappant de voir comment à Strasbourg, leurs prises de position les mettent en contradiction avec leurs discours », conclut Mme Berès.