Polémique autour de l’avenir des mutuelles étudiantes
Polémique autour de l’avenir des mutuelles étudiantes
Par Camille Stromboni, Eric Nunès
Emmanuel Macron a proposé leur rattachement au régime général.
Promesses « démagogiques », « hors sol », « injure faite à soixante ans au service des étudiants », Ahmed Hegazy, président d’Emevia, réseau national des mutuelles étudiantes régionales, ne mâche pas ses mots, lundi 27 mars, pour qualifier le projet de réforme de la sécurité sociale étudiante présenté par Emmanuel Macron.
Par la voix de l’un de ses soutiens, le député écologiste François de Rugy, le candidat d’En marche ! a pris l’engagement « que les étudiants ne soient pas soumis aux aléas de gestion des mutuelles », lors du congrès du syndicat étudiant, la Fédération des associations générales étudiantes (FAGE), samedi 25 mars. Pour cela, il prône le transfert du système de sécurité sociale obligatoire étudiant au régime général de la « Sécu », et non plus aux mutuelles étudiantes.
« Six mois pour une carte Vitale »
Depuis plusieurs années, les défaillances de gestion de ce régime spécifique destiné aux 2,5 millions d’étudiants sont régulièrement dénoncées. Plusieurs rapports de la Cour des comptes, d’UFC-Que choisir ou encore du Défenseur des droits ont soulevé de nombreux dysfonctionnements : retards dans l’affiliation et dans l’obtention d’une carte Vitale, délais de remboursement pouvant aller jusqu’à une année, absence de réponse aux réclamations… « Il est temps de mettre fin à cette exception française, inefficace et dispendieuse », tranche Emmanuel Macron dans un communiqué.
Premier organisme de santé étudiant au banc des accusés, la Mutuelle des étudiants (LMDE), emportée par des scandales de détournement et d’emplois fictifs, a déjà vu ses missions réformées, après avoir atteint une situation extrême avec une dette de 35 millions d’euros. En 2015, elle a transféré une partie de ses compétences à l’Assurance-maladie : la gestion du régime obligatoire de sécurité sociale de ses quelque 835 000 affiliés est désormais du ressort de la Caisse nationale d’assurance-maladie (CNAM), tandis qu’elle a conservé la main sur l’affiliation des étudiants à ce régime, la prévention et les complémentaires santé.
Emmanuel Macron souhaite aller plus loin en s’attaquant de la même manière aux mutuelles étudiantes régionales, réunies principalement au sein du réseau Emevia, avec plus d’un million d’étudiants affiliés à la Sécurité sociale par leur intermédiaire. « La proposition vise à aller au bout de la réforme engagée en 2015 », résume M. de Rugy.
La prise de contrôle des mutuelles par la « Sécu » est une « nécessité », soutient Jimmy Losfeld, président de la FAGE. Si le syndicaliste étudiant reconnaît l’amélioration des services rendus par la LMDE depuis la reprise en main de la CNAM, nombre d’étudiants seraient toujours victimes de dysfonctionnements avec les autres mutuelles : « La MEP pour les étudiants de Provence-Alpes-Côte d’Azur et Languedoc-Roussillon, et Vittavi pour ceux d’Aquitaine et Midi-Pyrénées, occasionnent encore des délais allant jusqu’à six mois pour l’envoi d’une carte Vitale et pour certains délais de remboursement », rapporte-t-il.
« Pure idéologie »
Pourtant, d’après Amhed Hegazy, le réseau qu’il préside « propose un haut niveau de qualité de service », avant de reconnaître qu’il peut être « localement » perfectible. Selon lui, les mutuelles étudiantes auraient en outre « une expertise des problématiques étudiantes », notamment sur les sujets liés à la prévention, pour lesquels la CNAM serait incompétente.
Au-delà du débat sur la qualité du service rendu, la question du coût de ce régime étudiant se pose également, souligne l’UFC-Que choisir : « L’intégration au régime général serait une source d’économies conséquentes, de l’ordre de 50 millions d’euros, estime Mathieu Escot, responsable des études. Car l’Assurance-maladie est bien plus efficace de par sa taille : les frais de gestion y sont par exemple de moins de 5 %, contre 17 % pour les mutuelles étudiantes. » « Si ce régime, qui avait tout son sens à sa création en 1948 a perduré si longtemps malgré ses dysfonctionnements, cela tient en grande partie au fait que les mutuelles ont servi de source de financement aux syndicats étudiants, ajoute-t-il. Mais depuis quelques années, la FAGE [désormais premier syndicat étudiant] défend sa suppression, faisant contrepoids à l’UNEF, ce qui change la donne. »
Les syndicats étudiants sont loin d’être unanimes : l’UNEF, qui revendique encore la moitié des représentants élus de la LMDE, ne voit pas d’un bon œil une reprise en main centralisée du système de santé des étudiants. « C’est une très mauvaise idée », déplore Lilâ Le Bas, sa présidente. « Ce régime, en réalité déjà réformé, a vu sa qualité de service s’améliorer au cours des deux dernières années, souligne le syndicat dans un communiqué. Si des difficultés subsistent, elles sont plus à chercher dans la spécificité des parcours de vie d’étudiants encore mal appréhendés que dans les modalités de gestion des mutuelles. »
Du côté de l’équipe du candidat socialiste, Benoît Hamon, on s’oppose à la proposition d’En marche !. « S’en prendre au régime étudiant relève désormais de la pure idéologie : le système mutualiste a été réformé, il est utile et efficace, plus qu’un régime général, pour traiter des spécificités du public étudiant », réagit Guillaume Balas, responsable du projet auprès du candidat.
Alors qu’elle organise un débat, mardi 28 mars, sur « Les jeunes et la santé », la Smerep, l’une des mutuelles régionales, a invité lundi les autres candidats à la présidentielle, qui n’ont pas pris position, à se prononcer.
Les dates
- 1948 Création d’un régime de santé spécifique aux étudiants et de la Mutuelle nationale des étudiants de France (MNEF)
- 1972 Création d’un réseau régional : l’Union nationale des mutuelles étudiantes régionales (actuelle Emevia)
- 2000 La Mutuelle des étudiants (LMDE) remplace la MNEF
- 2015 La médiocrité des services rendus par la LMDE et ses difficultés financières provoquent un transfert de sa gestion à la Caisse nationale d’assurance-maladie.