« D’un point de vue judiciaire, Marine Le Pen ne risque a priori rien avant le premier tour »
« D’un point de vue judiciaire, Marine Le Pen ne risque a priori rien avant le premier tour »
Après les révélations du « Monde » sur le financement occulte du Front national, le journaliste du « Monde » Olivier Faye a répondu aux questions des internautes.
Marine Le Pen aux Sables d'Olonne le 27 mars. | LOIC VENANCE / AFP
Olivier Faye, l’un des journalistes du Monde qui a réalisé l’enquête sur les affaires du Front national, notamment le financement du parti grâce au Parlement européen, a répondu aux interrogations des internautes.
Madeleine : Marine Le Pen ne cesse de répéter qu’elle a demandé depuis longtemps et sans succès la nomination d’un juge d’instruction ; elle en tire prétexte pour ne pas se rendre aux convocations de la justice. Qu’en est-il ?
Olivier Faye : Le jour même de la première perquisition au siège du FN dans cette enquête, le 17 février 2016, le FN a publié un communiqué pour « s’étonne [r] » du fait que seule une enquête préliminaire a été ouverte, « dirigée par le procureur de la République hors la nomination d’un juge d’instruction ». Ce qui, dans l’esprit du FN, revient à être « aux ordres du ministre de la justice ». Une information judiciaire – qui revient à nommer un juge d’instruction pour enquêter – a néanmoins été ouverte quelques mois plus tard, en décembre 2016. Ce qui ne l’a pas empêchée de refuser de se rendre aux convocations de la police puis des juges après coup, car, dit-elle, cela intervient pendant la campagne présidentielle.
Nico : Marine Le Pen risque-t-elle quelque chose avant le premier tour de la présidentielle ?
D’un point de vue judiciaire, Marine Le Pen ne risque a priori rien avant le premier tour. Elle n’a pas été mise en examen dans le cadre de l’enquête sur les assistants parlementaires car elle a refusé de se rendre à la convocation des juges, qui devaient la placer sous ce statut. Son immunité parlementaire la protège. Et les magistrats n’ont pas encore demandé – si jamais ils ont l’intention de le faire – la levée de cette immunité parlementaire.
Dans l’autre affaire judiciaire qui concerne le FN, celle du financement des campagnes de 2012, un renvoi en correctionnelle a été décidé pour dix personnes, dont le parti en tant que personne morale. Marine Le Pen, elle, est placée sous le statut de témoin assisté. Aucune date n’a pour l’instant été fixée pour le procès, qui ne devrait en tout état de cause intervenir qu’après les élections présidentielle et législatives.
Reno Fuego : Comment se fait-il que l’immunité de Marine Le Pen ait été levée pour l’affaire des photos diffusées, mais pas sur des affaires visiblement un peu plus graves ?
Aucune demande de levée d’immunité dans ce dossier-là n’a pour l’instant été réclamée, à ma connaissance en tout cas.
Citoyen : Avez-vous une estimation globale des montants ?
Au déclenchement de l’affaire, en 2015, celui qui était alors le président du Parlement européen, le socialiste Martin Schulz, estimait à 1,5 million d’euros par an le préjudice subi par l’institution qu’il préside. Et, pour l’instant, le Parlement réclame le remboursement de la somme de 1 106 307 euros qui correspond aux salaires versés aux assistants de six députés, dont ceux de Marine Le Pen, qui n’auraient pas réellement travaillé pour le Parlement européen mais seulement comme cadres du FN.
Gauthierlemoine : Marine Le Pen finance sa campagne présidentielle grâce à un emprunt important de 6 millions d’euros envers son père, Jean-Marie Le Pen. Comment a-t-il gagné cet argent ?
Il ne l’a pas à proprement parler « gagné », ce sont des particuliers qui prêtent de l’argent à ce microparti depuis maintenant près de trente ans, et en retirent des intérêts qui, selon Jean-Marie Le Pen, justifient leur geste. La vocation de Cotelec est de financer les campagnes du FN – c’était le cas par exemple lors des régionales de 2015, malgré la rupture père/fille – mais aussi, on le constate encore aujourd’hui, d’aider le parti au quotidien.
Patrick R : Est-ce que ces affaires ont un rapport avec l’affaire du microparti Jeanne dénoncée par René Dosière ?
Cette affaire est distincte. Depuis deux ans, le Parlement européen comme la justice française se penchent sur le travail d’une vingtaine d’assistants frontistes, dont l’emploi est considéré comme fictif. Le but aurait été de profiter de la manne européenne pour assurer le fonctionnement interne du parti. L’affaire Jeanne, elle, n’a pas été initiée par René Dosière, même s’il a pu la dénoncer. Elle a trait au financement des campagnes présidentielle et législatives de 2012. Elle trouve son origine dans la dénonciation, par la commission des comptes de campagne, à la justice, d’irrégularités présumées pointées par des candidats FN, et a trait à une possible surfacturation des kits de campagnes vendus à ces derniers dans le but de bénéficier des remboursements de l’Etat.
ReMaYe : Pourquoi si peu d’échos dans la presse et dans l’opinion publique, a contrario de l’affaire Fillon ?
Ces affaires – celle des assistants parlementaires et celle du financement des campagnes du FN en 2012 – me semblent être relayées correctement dans les médias, mais elles sont relativement complexes. Il est plus simple de frapper l’opinion publique quand on parle de l’emploi présumé fictif de l’épouse et des enfants d’un candidat (François Fillon), ou des costumes de plusieurs milliers d’euros qui lui ont été offerts par un homme devenu le symbole de la Françafrique (Robert Bourgi). Au FN, certains estiment par ailleurs que les citoyens ne savent pas que l’argent du Parlement européen est, in fine, issu de leurs impôts.
Ludovic : Dans quelle mesure les révélations des échanges d’e-mails entre le trésorier du FN et Marine Le Pen sont-ils différentes des éléments déjà connus ?
Les documents que nous révélons montrent que le parti prévoyait depuis au moins 2012 d’effectuer des « économies » sur le compte du Parlement européen. Notamment en termes de masse salariale. Ils montrent par ailleurs que Marine Le Pen était informée de cette opération par son trésorier. On voit par ailleurs que la « riposte » à l’ouverture d’une enquête préliminaire par la justice a été pensée dès le départ.
D’autres éléments que nous révélons posent par ailleurs question du rôle joué par l’expert-comptable Nicolas Crochet. Ce dernier avait été pressenti pour devenir le directeur de campagne de Marine Le Pen en 2012 – Florian Philippot avait finalement obtenu ce poste. Nicolas Crochet, avec sa société Amboise Audit, est le tiers payant du FN au Parlement européen, c’est-à-dire qu’il est chargé de verser les salaires des assistants parlementaires locaux avec de l’argent que lui donne le Parlement. Or, il apparaît que ce dernier a commis des irrégularités, en ne versant pas par exemple certaines taxes ou cotisations. De plus, des mouvements financiers suspects ont été relevés sur ses comptes : des virements de 320 000 euros au total ont été faits depuis son compte professionnel – qui sert à payer les assistants, les charges et cotisations – vers son compte personnel, officiellement pour « rembourser des frais » avancés « pour certains assistants ».
Amd92 : Comment se fait-il que Frédéric Chatillon, renvoyé en correctionnelle pour les affaires de financement des campagnes électorales du FN, puisse figurer dans l’organigramme de la campagne 2017 ? N’avait-il pas été interdit de contact par la justice ?
La société de Frédéric Chatillon, Riwal, est visée par un contrôle judiciaire qui l’interdit d’entretenir une relation commerciale avec le FN dans le cadre des campagnes électorales. Il est donc facile pour le FN de passer outre cette interdiction, en salariant M. Chatillon. Par ailleurs, E-politic, une société dans laquelle il possède des parts, est prestataire de la campagne du FN. Ces derniers mois (pas depuis février néanmoins), on a souvent vu Frédéric Chatillon dans les meetings ou événements du FN, affairé derrière les équipes d’E-politic. Il est également très souvent présent à l’Escale, le siège de campagne de Marine Le Pen.
Position démissionnaire : Y a-t-il des témoignages d’élus FN communaux ou régionaux démissionnaires justifiant leurs démissions par un dégoût des pratiques d’un parti se présentant paradoxalement depuis trente ans comme « main propre et tête haute » ?
Certains élus régionaux, notamment en Bourgogne-Franche-Comté, se sont élevés contre les pratiques du parti, qui, disent-ils, ne rembourse pas les frais engagés par les militants dans le cadre des dernières campagnes électorales.