Au Venezuela, l’opposition interdite de manifestation
Au Venezuela, l’opposition interdite de manifestation
Par Paulo A. Paranagua (Caracas, envoyé spécial)
Les opposants au président, Nicolas Maduro, dénoncent le coup de force de la Cour suprême contre le Parlement.
Les policiers vénézuéliens ont utilisé des gaz lacrymogènes lors de heurts avec des opposants au président Maduro, à Caracas, le 4 avril. | CARLOS GARCIA RAWLINS / REUTERS
L’opposition vénézuélienne est parfois injuste lorsqu’elle qualifie le président Nicolas Maduro d’incompétent : le pouvoir a en effet fait des progrès en matière de répression politique... Mardi 4 avril, les opposants avaient appelé à descendre dans la rue, à Caracas, pour protester contre le « putsch de Maduro », cette tentative de la Cour suprême, le 29 mars, de s’arroger les attributions de l’Assemblée nationale, contrôlée par l’opposition de centre gauche.
Pour empêcher l’accès à la place Venezuela, lieu de rassemblement, une douzaine de stations de métro ont été fermées. Des barrages de police ont été déployés, au risque de paralyser la capitale. Pour augmenter la pression, une contre-manifestation s’est dirigée vers l’Assemblée nationale, accusée à son tour d’être « putschiste ».
Au centre-ville, « zone rouge » interdite aux opposants, la tension était palpable. Les policiers ont lancé des gaz lacrymogènes lors de heurts avec des protestataires. Même les députés ont été empêchés d’accéder à l’Assemblée, a dénoncé le social-démocrate Henry Ramos Allup.
Isolement international
Dimanche soir, la police politique, le Service de renseignement bolivarien (Sebin), a arrêté le dirigeant démocrate-chrétien Roberto Enriquez, qui va être déféré devant un tribunal militaire pour « trahison à la patrie ». C’est la procédure qui devait être appliquée aux députés, lorsque la Cour suprême avait suspendu leur immunité parlementaire, le 28 mars, avant de rétropédaler quatre jours plus tard face au tollé suscité.
Lundi, deux députés se sont présentés devant le ministère public pour demander que les juges coupables d’un tel abus soient dessaisis de leur poste. Un « collectif » chaviste les a agressés : l’un d’entre eux, Juan Requesens, a eu besoin d’une cinquantaine de points de suture sur le visage et à la tête.
Le défenseur du peuple (une sorte de médiateur), Tarek William Saab, acquis au régime, est sorti de sa réserve pour condamner l’agression contre M. Requesens. Il est le deuxième personnage de haut niveau du régime à faire entendre sa différence. Vendredi, la procureure générale de la République, Luisa Ortega, avait déclaré que le coup de force de la Cour suprême contre l’Assemblée nationale n’était pas conforme à la Constitution et constituait une rupture de l’ordre démocratique. Cette déclaration, inédite dans un régime hermétique, avait sonné toutes les alarmes et amené le président Maduro à exiger, dès le lendemain, que la Cour se rétracte. La volte-face des juges a confirmé l’absence de séparation des pouvoirs.
Depuis, les spéculations sur les fissures du chavisme vont bon train. « Luisa Ortega est sans doute la pointe de l’iceberg, note la politologue Colette Capriles, de l’université Simon Bolivar. Mais cela ne signifie pas que l’iceberg soit prêt à percuter le Titanic de Maduro. » L’entourage présidentiel dérange des militaires acquis à l’ancien président Hugo Chavez (1999-2013).
« Le silence embarrassé du ministre de la défense, le général Vladimir Padrino Lopez, est très significatif », estime Luz Mely Reyes, directrice du site d’information Efecto Cocuyo. Ce général, qui aurait déjà dû passer au cadre de réserve, était d’habitude prompt à proclamer la fidélité de l’armée à la mémoire du lieutenant-colonel Chavez.
Selon le président de l’institut de sondages Datanalisis, Luis Vicente Leon, le pouvoir a fait « deux pas en avant et un pas en arrière ». L’Organisation des Etats américains (OEA) a réclamé, lundi, le rétablissement des prérogatives de l’Assemblée nationale. « Qu’importe l’OEA, a répliqué M. Maduro. L’OEA est devenue un tribunal de l’inquisition. »
Pénuries, hyperinflation, corruption et insécurité
L’isolement international de Caracas suscite chez les opposants des attentes excessives. « Même si les faux pas et la radicalisation du gouvernement lui donnent des ailes, l’opposition est très divisée, chacun faisant ses calculs en vue des prochaines élections », souligne le politologue Carlos Romero, de l’Université centrale du Venezuela.
La légitimité de Hugo Chavez était basée sur une démocratie plébiscitaire, avec un scrutin par an en moyenne, qu’il avait tous gagnés, à l’exception d’un référendum pour réformer la Constitution. Son successeur, M. Maduro, élu de justesse, a suspendu sine die les élections de gouverneur prévues en 2016 et bloqué le référendum révocatoire demandé par les opposants, pour éviter les défaites annoncées.
La prochaine présidentielle est prévue fin 2018. Autant dire une éternité pour les 80 % de Vénézuéliens qui aspirent à un changement, lassés par les pénuries, l’hyperinflation, la gabegie, la corruption et l’insécurité. Luisa Ortega a indiqué que 21 752 meurtres avaient été commis en 2016 au Venezuela, soit 70 homicides pour 100 000 habitants, un des taux les plus élevés de la planète. Encore une déclaration de la procureure générale qui tranche avec l’opacité officielle.