A Grande-Synthe, un maire combattif, des associations inquiètes et des migrants désemparés
A Grande-Synthe, un maire combattif, des associations inquiètes et des migrants désemparés
Par Geoffroy Deffrennes (Lille, correspondant)
Le maire de Grande-Synthe espère que les centres d’accueil et d’orientation et du pays pourront accueillir les 1 500 migrants après l’incendie du camp des Linières.
L’incendie de lundi soir a ravagé le camp de Linières. | Christophe Ena / AP
Le camp des Linières, ouvert en mars 2016 par le maire écologiste (EELV) de Grande-Synthe Damien Carême, aidé par Médecins sans frontière (MSF) s’est consumé à 80 % dans la nuit du 10 au 11 avril. Les départs de feu ont été volontaires, après une série de rixes entre Kurdes irakiens, historiquement majoritaires dans ce camp, et Afghans arrivés lors de la fermeture de la « jungle » de Calais.
Il sera difficile pour les enquêteurs de trouver des coupables. « On parle d’une attaque des cuisines – où vivent sommairement les Afghans qui n’ont pas droit aux cabanons réservés aux Kurdes -, avec représailles afghanes sur les chalets », croyait savoir Christian Salomé, président de l’Auberge des migrants.
Mardi, les rares Kurdes qui desserraient les lèvres, allongés au soleil sur les pelouses ou sur des lits de camp dans les trois gymnases, restaient évasifs, air de ceux qui en ont vu d’autres. Quant aux Afghans, impossible d’en trouver. « Ils ont peur des Kurdes qui peuvent être violents, ils se sentent indésirables », lâchait un bénévole.
Grande-Synthe : les images de l’incendie qui a ravagé le camp de migrants
Durée : 01:23
Un camp monté pour 700 personnes
« J’ai entendu différentes versions, je suis incapable de dire comment cela a commencé, rétorquait M. Carême. Mais nous avions monté ce camp pour 700 personnes ; au-delà les conflits devenaient inévitables. Je suis pour le maintien de ce camp, mais à condition de revenir à sa norme initiale. »
Dans son bureau, en début d’après-midi mardi, le maire de Grande-Synthe consultait ses messages sur sa tablette. « Je suis ragaillardi par les propositions d’aides que je reçois. Regardez : on m’envoie une photo des images de l’incendie diffusées sur l’écran géant d’une gare britannique. »
M. Carême était en déplacement à Paris, au 85e anniversaire de l’UNEF, « pour intervenir précisément sur les migrants », quand on l’a averti. « Plus de train, je suis resté au téléphone jusque 3 heures du matin avec mon directeur de cabinet Olivier Caremelle, puis levé à 5h pour filer à la gare… »
L’élu a pris son bâton de pèlerin depuis quelques semaines. « La surpopulation du camp de Grande-Synthe est due au nombre insuffisant de centres d’accueil et d’orientation (CAO). » Le site du ministère de l’intérieur en dénombre près de 400. Ils ont reçu les 7 000 migrants expulsés de la « jungle » de Calais à l’automne 2016.
Le bref ministre de l’intérieur Bruno Leroux avait émis l’idée de fermer La Linière, démenti aussitôt par la ministre du Logement Emmanuelle Cosse. « La ministre a signé le 17 mars une prolongation de la convention de gestion du camp, entre l’Etat, la commune et l’Association des Flandres pour l’éducation, la formation des jeunes et l’insertion sociale (Afeji), rappelle Damien Carême. On avait décidé de diminuer la taille du camp et déjà démonté les tentes et retiré 100 chalets. Mais depuis la fermeture de Calais, l’élan de création des CAO n’a pas été suffisant. J’estime qu’il manque 4000 places. »
Damien Carême : « L’arrivée des réfugiés, une étape de notre histoire commune »
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Du coup, le maire a pris son bâton de pèlerin. « Je parcours les mairies. Je suis allé à la Rochelle, Niort, Grenoble, Montpellier, Bourg-la-Reine, Arras, je vais à Angers dans quelques jours : partout je vois des maires contents de leur CAO et pas un ne m’a dit que cela se passait mal ! J’encourage à en créer. » Son voisin le député-maire de Saint-Pol-sur-Mer Christian Hutin (MRC, ex RPR) estimait mardi dans la presse locale que 90% des migrants ne veulent pas aller dans les CAO. « Absurde, réplique M. Carême. La grande majorité accepte. Les exceptions sont dans des CAO où le lien social est moins efficace. »
Des migrants désormais hébergés dans des gymnases
On ignore encore où se trouvent 500 des 1 500 migrants qui ont dû évacuer le camp. | PASCAL ROSSIGNOL / REUTERS
Devant la salle de sport Victor Hugo, quelques centaines de réfugiés prenaient leur repas du jour, tardivement. Les membres de l’Afeji refusaient de répondre aux questions, tout comme les fonctionnaires de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII). « On nous a interdit de répondre à la presse », expliquait poliment une jeune fille au blouson rouge de l’OFII. Même refus chez Hervé Desvergnes, le responsable des 52 salariés de l’Afeji recrutés pour le camp, dont certains retourneront peut-être au chômage : « la parole aux ministres ce soir… »
A l’intérieur du gymnase, des couples se reposaient, essayant d’occuper les enfants. Un bébé de quelques semaines était pris en soin par la Croix rouge. La directrice de l’école élémentaire Francisco Ferrer, où sont scolarisés les enfants du camp, et deux institutrices, s’affairaient. Ces enseignantes ont pris l’habitude de continuer à s’occuper de ces enfants durant les vacances scolaires, bénévolement.
Devant la halle du Basroch, les membres de l’association britannique Dunkirk Legal Support Team (DLST), créée en avril 2016, se montraient plus loquaces. Evelyn McGregor, quinquagénaire écossaise, et Niamh Quille, jeune anglaise, mettent leurs connaissances en droit au profit des mineurs.
Lucille Agins est la seule française de l’association. Après son master en droits de l’homme à Grenoble, elle s’est engagée en service civique à la Cimad et auprès de DLST. « A l’origine, il s’agissait d’information et d’orientation puis l’asso s’est développée au sein de Citizens UK. Car le problème des mineurs isolés de leur famille en Grande-Bretagne devient aigu. »
Alors qu’on ignorait mardi soir où étaient passés les 500 migrants non abrités dans les gymnases, Corinne Torre, coordinatrice des programmes à Médecins sans frontière, voyait un avenir noir. « Cela donne l’impression qu’ils sont violents, mais les tensions viennent du manque de management : pour accompagner ces réfugiés il faut du personnel. On le voit aussi à Paris entre Afghans et Soudanais à la Chapelle. J’ai entendu parler de transferts vers les CAO, c’est une utopie, il n’y a pas 1 500 places libres. Ils vont se disperser, et certains iront sans doute aussi à Paris… »