Coup de frein de la justice européenne à la lutte contre la fraude aux travailleurs détachés
Coup de frein de la justice européenne à la lutte contre la fraude aux travailleurs détachés
LE MONDE ECONOMIE
Les autorités françaises ne pourront plus suspendre les certificats de détachement des travailleurs en cas de fraude.
La décision tombe au plus mal dans une campagne présidentielle où le sujet du travail détaché a pris une importance capitale. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a prononcé, jeudi 27 avril, un arrêt qui va freiner considérablement la lutte contre la fraude au travail détaché. Les juges européens ont, en effet, décidé d’interdire aux autorités françaises de suspendre unilatéralement les certificats de détachement (dits « A1 ») des travailleurs en cas de constatation de fraude. Ces certificats sont émis par le pays d’origine et attestent de l’affiliation du travailleur détaché à la Sécurité sociale, avant qu’il parte dans un autre pays européen. Celui-ci conserve son contrat de travail et paye ses cotisations sociales dans son pays d’origine, mais ses conditions de travail (salaire, temps de travail, etc.) doivent être conformes à la législation du pays d’accueil.
Les juges de Luxembourg estiment dans leur arrêt que ces certificats, « aussi longtemps qu’ils ne sont pas retirés ou déclarés invalide » par le pays d’origine, « s’imposent dans l’ordre juridique interne de l’Etat membre dans lequel le travailleur salarié se rend pour effectuer un travail ».
Hors de question donc pour les inspecteurs du travail ou de l’Urssaf français de les suspendre lorsqu’ils constatent une situation frauduleuse à laquelle ils veulent mettre fin immédiatement. Une pratique régulièrement utilisée sur le terrain depuis le renforcement considérable des contrôles pour lutter contre la fraude au détachement ces dernières années. Au total, 286 000 travailleurs détachés sont venus en France en 2015.
Systématiquement consulter les autorités des pays d’origine
Dans le dossier soumis à la Cour, un croisiériste allemand – A‑Rosa Flussschiff – était mis en cause pour avoir fait travailler, sur des navires postés sur le Rhône et la Saône, 91 employés sous contrat suisse. A la suite d’un contrôle opéré en 2007, l’Urssaf avait estimé que les deux bateaux avaient une activité « permanente et exclusive » en France et avaient, à ce titre, affilié de force les salariés à la Sécurité sociale française. Un redressement de 2 millions d’euros avait été adressé à la compagnie allemande et les certificats A1 suspendus. Flussschiff avait contesté ce redressement en justice et perdu en première instance et en appel. Saisie, la Cour de cassation avait, elle, décidé d’adresser une question préjudicielle à la CJUE pour demander son avis sur la conformité de cette pratique avec le droit européen.
Or la Cour a rappelé sa jurisprudence, constante sur le sujet, même si elle n’était pas appliquée en France. Dans son arrêt, elle estime ainsi qu’il existait des moyens légaux pour discuter avec la Suisse de la validité des détachements. La France ne les a pas utilisés avant de suspendre les détachements. Paris a expliqué devant la Cour que cette procédure était « inefficace » et avait justifié son action unilatérale au nom de la lutte contre « la concurrence déloyale ainsi que le dumping social ». Mais la Cour a écarté ces critiques en expliquant que les autorités auraient toujours pu saisir la CJUE en cas de désaccord persistant avec la Suisse.
Cet arrêt va donc imposer aux inspecteurs français de systématiquement consulter les autorités des pays d’origine, même lorsqu’ils se montrent peu coopératifs. En cas de conflit, il faudra lancer une procédure au niveau européen. Un processus forcément long et incertain. D’ores et déjà, Ryanair, condamné dans une affaire comparable, a annoncé qu’elle allait réclamer 15 millions d’euros de remboursement à l’Etat français. « Nous saluons cet arrêt », a expliqué le directeur des ressources humaines de la compagnie aérienne dans un communiqué.