La prise du port de Hodeïda : un enjeu stratégique pour le Yémen et l’Arabie saoudite
La prise du port de Hodeïda : un enjeu stratégique pour le Yémen et l’Arabie saoudite
Par Benjamin Barthe (Riyad, envoyé spécial)
Riyad se prépare à une éventuelle attaque avec l’objectif de prendre le contrôle de la ville portuaire.
Un soldat sur le port de Hodeïda, au Yémen, le 10 mai 2017. | ABDULJABBAR ZEYAD / REUTERS
Les mises en garde de l’ONU ne semblent pas l’inquiéter. L’Arabie saoudite continue de se préparer à une éventuelle attaque contre le port de Hodeïda, sur la côte ouest du Yémen, en dépit du risque qu’une telle opération n’exacerbe la crise humanitaire en cours dans ce pays, déchiré par deux années de guerre civile.
La ville, par où entre l’essentiel de l’aide destinée aux populations civiles, est tenue par le mouvement houthiste, une rébellion armée alliée à l’Iran. En lutte contre le président yéménite Abd Rabo Mansour Hadi, et épaulée par des unités restées fidèles à l’ancien chef de l’Etat Ali Abdallah Saleh, cette rébellion est combattue par une coalition arabe, conduite par l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis.
Arguant que les miliciens houthistes se servent de Hodeïda pour faire venir des armes d’Iran – ce que beaucoup d’observateurs contestent ou minimisent –, Riyad a d’abord demandé que les Nations unies prennent le contrôle des installations portuaires. Le refus de l’ONU, tenue à la neutralité dans ce conflit, a renforcé l’hypothèse d’un assaut. « Pour obliger les Houthis à négocier sérieusement, il faut marquer des points sur le terrain, et cela passe par la reprise de Hodeïda », avance un analyste proche des cercles de décision du royaume.
« Une opération commando »
Les Saoudiens et leurs alliés émiratis réfléchissent à une manœuvre qui prendrait la ville en tenaille, avec des attaques simultanées depuis la mer Rouge, la localité de Midi, au nord, et celle de Waha, au sud. « On parle d’une opération commando destinée à sécuriser le port, avant de reprendre le reste de la ville, poursuit la source saoudienne. Ce scénario est à l’étude avec les Américains. On ne sait pas s’ils enverront des forces spéciales ou s’ils se contenteront de fournir des renseignements. »
Pour neutraliser les critiques de l’ONU, qui redoute qu’une attaque ne déclenche une famine, les Saoudiens songent à la mise en place d’un sas humanitaire alternatif. A partir d’Aden ou de Moukalla, les deux grands ports du sud, aux mains des anti-Houthis. Ces préparatifs ne convainquent cependant pas tous les observateurs. « Hodeïda est un gros morceau, confie un diplomate occidental. Les mercenaires soudanais et les forces yéménites formées à la va-vite par les Saoudiens risquent d’avoir beaucoup de mal face aux forces de Saleh, très bien implantées. »
La donne a encore été compliquée par le limogeage, fin avril, par le président Hadi, du gouverneur d’Aden, Aidarous Al-Zoubaidi. En réaction, ce dernier a annoncé la création d’une autorité parallèle, qui agite la menace d’une sécession du sud du pays. Un scénario qui priverait la coalition anti-Houthis du soutien des combattants sudistes, essentiels à la reprise de Hodeïda.
La visite du président américain Donald Trump, à la fin du mois, en Arabie Saoudite, pourrait permettre d’y voir plus clair. Le niveau d’assistance consenti par le Pentagone influera sur la décision ou non d’attaquer le port yéménite. A cet égard, les récents propos de M. Trump, maugréant contre le coût « trop élevé » de la protection du royaume, ne sont pas de bon augure pour les Saoudiens.