Quand Macron coupe le cordon
Quand Macron coupe le cordon
Par Clara Georges
De la dinde, du jambon, du fromage et de la panure. Comment le cordon-bleu vest entré dans l’histoire de la Ve République.
L’allégorie est tellement parfaite qu’elle mérite un titre. Tentons La Jeunesse portant un plateau-repas. Dimanche 23 avril, jour du premier tour. Sur une aire d’autoroute entre Le Touquet et Paris, Emmanuel Macron se plante devant la vitrine des plats chauds. « Moi, j’aime bien les cordons-bleus, là… » « C’est avec le menu enfant », lui rétorque la serveuse, devant les caméras du réalisateur Yann L’Hénoret (Macron, les coulisses d’une victoire). Soudain, l’homme qui s’apprête à devenir le huitième président de la Ve République n’a pas 39 ans mais 11.
Le voici dans une posture de gamin contrarié, exactement comme quand son épouse, un peu plus tôt dans le documentaire, rembarre son envie de chocolat post-débat d’un « Non, je ne veux pas que tu manges des saloperies ! » (Remarquons au passage que si sa seule pulsion, après plus de deux heures d’invectives de Marine Le Pen, était de manger un Twix, cela a quelque chose d’admirable.)
La « comfort food » idéale
C’est oublier la fonction réconfortante de ces aliments régressifs. Les Anglais – God bless them – ont une expression pour cela : la comfort food. Cela va du sticky toffee pudding (indécent) au plat de lasagnes-frites (des féculents avec des féculents, indeed), et cela s’applique aux lendemains de picole comme aux situations de stress.
Le cordon-bleu, c’est la comfort food idéale : du fromage fondu non identifié, du jambon, une viande blanche qui pourrait être du poulet et de la panure. A vrai dire, je croyais qu’il s’agissait de l’invention d’une marque agro-industrielle que nous associons tous à l’objet. Je ne pensais pas que c’était un plat, jusqu’à ce qu’une cousine (chypriote, un comble !) me serve un jour des cordons-bleus faits maison. J’ai été envahie d’une sensation d’irréalité, comme si elle m’avait dit : « Ce soir, j’ai fait des Big Mac. »
Pas très Fouquet’s ni même Rotonde
Le cordon-bleu est en fait une sorte de grand-père de la malbouffe, à la genèse disputée entre la Suisse et les Etats-Unis dans les années 1950. Qu’il ait survécu et prospéré malgré les inventions folles de notre époque (la Chizza de KFC, une pizza dont la pâte est remplacée par du poulet pané) est la preuve de sa très grande adaptabilité. Le cordon-bleu est agile, dirait-on dans une réunion PowerPoint. A plus d’un titre d’ailleurs : quel oxymore plus parfait que ce nom de prestige pour qualifier un tel produit ? Comme si l’on renommait le vin de cuisine « cuvée millésime », ou les Savane « création MOF ».
L’équipe d’En marche ! semble avoir bien intégré cette fonction rassurante de la junkfood, puisqu’on les voit successivement se faire un petit McDo puis engloutir des Pringles. Pas très Fouquet’s ni même Rotonde, tout cela – c’est peut-être l’un des buts recherchés. C’est surtout le quotidien d’un petit groupe de trentenaires qui ont conquis la République. Comme l’a tweeté le chef de l’Elysée, Guillaume Gomez : « Le cuistot a noté. »