« Une telle pluralité n’avait jamais été observée dans un gouvernement »
« Une telle pluralité n’avait jamais été observée dans un gouvernement »
Age, parité, composition, équilibres politiques… Quelles conclusions tirer de la composition du premier gouvernement du quinquennat Macron ? Nicolas Chapuis, chef du service politique du « Monde », a répondu aux questions des internautes.
Au lendemain de la nomination du nouveau gouvernement, Nicolas Chapuis, chef du service politique du Monde a répondu aux questions que les internautes se posent sur le premier gouvernement du quinquennat Macron.
Hornblower : Bonjour, comment analyser le fait que Nicolas Hulot ait accepté de rentrer au gouvernement ?
Nicolas Chapuis : Il avait refusé à trois reprises, sous Chirac, Sarkozy et Hollande. Il a fini par accepter. L’accord avec Macron a été conclu vendredi dernier lors d’un déjeuner. Il semble qu’il ait obtenu des garanties suffisantes en termes de prérogatives (le rang de ministre d’Etat, le contrôle sur l’énergie, sur le transport). Des proches de l’ex-animateur ont également joué les entremetteurs (notamment Matthieu Orphelin, ancien porte-parole de la fondation Hulot et désormais candidat La République en marche pour les législatives).
Evidemment, nous suivrons avec attention les dossiers chauds en la matière (Notre-Dame-des-Landes, Fessenheim), où les différentes personnalités du gouvernement ont souvent pris des positions opposées. Mais pour Nicolas Hulot, le dossier le plus important est la mise en place d’une fiscalité écologique. Par ailleurs, il faut noter que le positionnement « ni droite ni gauche » de Macron avait été revendiqué en son temps par l’ex-animateur.
Thomas : Quel ministre est en charge du transport ?
Nicolas Hulot aura la main sur ce secteur. Il sera secondé par Elisabeth Borne, ministre déléguée à la transition écologique et au transport.
Julie : Certains intitulés de ministère sont absents (logement…) Sait-on aujourd’hui quel ministère va s’occuper des questions de jeunesse ?
Excellente question… à laquelle nous n’avons pas encore de réponse. Cela fait partie des domaines non attribués. Il faudra attendre un peu.
Phiphi : Etonnant de voir Mme Goulard aux armées et M. Le Drian aux affaires européennes. L’inverse aurait-été plus logique, non ?
En effet, Mme Goulard est une spécialiste des questions européennes et elle était attendue sur un ministère chargé de ces questions-là. La voir atterrir aux armées a été une surprise. Pour M. Le Drian, il s’agit évidemment d’une promotion. Il récupère le Quai d’Orsay, version élargie. On a pu penser pendant un temps qu’il allait être amputé de la partie Europe, mais il n’en est rien. En revanche, l’ordre des priorités se lit très clairement dans l’énoncé : « ministre des affaires européennes et étrangères ».
Léo : Mettre Goulard aux armées, n’est-ce pas le moyen de mettre sur l’agenda le projet de défense européenne avec une personne compétente et ayant un réseau large au sein de l’UE ?
Nicolas Chapuis : Ce qui est certain, c’est qu’entre Jean-Yves Le Drian et Sylvie Goulard, la diplomatie française en la matière est très favorable à un développement de la défense européenne. Le Drian aurait aimé avancer davantage dans ce domaine et c’est l’un des regrets de son passage à la défense. La France souhaiterait un engagement plus important de l’Allemagne. En clair : les Français s’occuperaient des opérations militaires, et les Allemands des opérations de développement, qui viennent en complément. La France veut également consolider son partenariat avec le Royaume-Uni, malgré le Brexit, qui concerne notamment le nucléaire. Mais ceci dit, le premier dossier sur la table de Mme Goulard, c’est le budget 2018 pour l’armée. Les militaires espèrent le voir s’accroître considérablement, pour atteindre 2 % du PIB d’ici à 2025.
Romain : Pour quelle raison ne mentionnez-vous pas le fait qu’Emmanuel Macron, dans une déclaration à l’AFP le 28 mars, avait indiqué ne pas vouloir d’anciens ministres au sein du nouveau gouvernement ?
Nous l’avons signalé. Il a fait deux exceptions à sa règle avec Le Drian et Girardin.
Leym : Je vois des plaintes selon lesquelles des ministères, comme le logement, sont absents. Mais je vois pas comment satisfaire tout le monde sans se retrouver avec plus de 30 minitres, est ce vraiment possible de faire autrement ?
En effet, certains secteurs n’apparaissent pas dans les premiers intitulés. Il faudra attendre la publication des périmètres exacts au Journal officiel. Le logement devrait revenir à Richard Ferrand, ministre de la cohésion et des territoires, qui a d’ailleurs assuré la passation avec Emmanuelle Cosse. Le ministère de Mme Buzyn, intitulé solidarités et santé, devrait recouvrir ce qu’on appelle communément les affaires sociales, avec les retraites et la Sécu.
Guillaume76 : Le gouvernement sous Sarkozy avait également prôné l’ouverture en « embauchant » des personnalité de gauche notamment, mais sans donner dès le premier abord un sentiment de « changement ». Qu’est-ce qui selon vous donne à ce gouvernement relativement inédit l’impression de renouveau ? Pour ma part, je trouve la réaction à ce gouvernement des partis classiques inaudibles.
La réaction des partis était convenue. Ils sont en campagne pour les législatives et ne vont donc pas lancer des fleurs à ce gouvernement. Ils jugent ce gouvernement soit pas assez à droite soit à gauche, selon la personne qui s’exprime. C’est de bonne guerre. L’impression inédite de renouveau émane du fait qu’une telle pluralité n’avait jamais été observée dans un gouvernement. Il ne s’agit pas d’ouverture d’un camp à l’autre, il s’agit d’une forme de synthèse du centre, du centre droit et du centre gauche. Avec en sus, une part importante « d’experts » de la société civile. Mais dans ce gouvernement, il y a également beaucoup de personnes qui pensent des choses très différentes sur des sujets clés. Faire « tenir » cet ensemble va être une réelle gageure pour Edouard Philippe et Emmanuel Macron.
Jacques : Il me semble qu’il était question d’un ministère plein et entier consacré au droit des femmes. Sait-on qui a hérité de ce portefeuille ?
C’est un secrétariat d’Etat et non un ministère plein et entier, contrairement à ce qu’avait annoncé Emmanuel Macron dans sa campagne. Il faut aussi noter que s’il y a une parité stricte, les postes traditionnellement jugés les plus importants du gouvernement (le Quai, Bercy, l’intérieur, la justice, l’éducation, l’écologie) ont été confiés à des hommes. Les trois ministres d’Etat sont également des hommes. En marche ! se défend en jugeant que le dossier du travail, jugé prioritaire, a été confié à une femme par exemple (Muriel Pénicaud).
Jérémy N : Le fait d’avoir un premier ministre LR et deux ministres à Bercy également LR permet-il d’équilibrer ce gouvernement en terme gauche/droite malgré la supériorité numérique de la gauche et du centre ?
Je ne sais pas si on peut parler d’équilibre. Je dirais que ce gouvernement est l’émanation assez directe du macronisme. Emmanuel Macron est plutôt libéral sur l’économie et a donc confié ce secteur à des personnalités de droite. Sur les valeurs, il se rapproche davantage du centre ou du centre gauche. Il a confié à des personnalités venues de cette tendance le domaine régalien. Enfin dans le domaine social, Emmanuel Macron est avant tout un pragmatique. Il veut des solutions qui fonctionnent et a donc confié ces dossiers à des « experts » issus de la société civile. Au fond, pour ceux qui se posaient la question, ce gouvernement est la meilleure illustration des convictions de Macron. Libéral sur l’économie, progressiste sur les valeurs, pragmatique sur le social.
Lecteur Monde : Quels étaient les points communs entre le programme économique de Bruno Le Maire et Emmanuel Macron ?
Ce sont tous les deux des libéraux, pro-européens. En revanche, sur certains points programmatiques, ils sont en désaccord. Bruno Le Maire avait proposé pendant sa campagne de la primaire de la droite une baisse de la CSG. Sous Macron, il devra à l’inverse mettre en place la hausse de 1,7 % de cet impôt, sur laquelle le candidat Macron s’est engagé dans la campagne. Les Républicains, auxquels MM. Darmanin et Le Maire appartenaient il y a peu encore, avaient également été très critiques de la suppression de la taxe d’habitation pour 80 % des ménages, voulue par En marche !
Tom : Les ministres s’étant présentés aux législatives doivent-ils être élus afin de rester ministre ?
Tout à fait. C’est la jurisprudence « Juppé » [Juppé avait été nommé ministre de l’écologie dans le premier gouvernement Fillon en 2007 avant d’être battu aux législatives en juin. Il avait donc démissionné]. Les ministres battus s’en vont. Ils sont six à se présenter : Mahjoubi, Ferrand, Sarnez, Castaner, Le Maire et Girardin.
Lucas : Est-ce normal et constitutionnel (séparation de l’exécutif et du législatif) qu’un ministre puisse être aussi député ?
Oui c’est prévu par la loi. Quand il devient ministre, le mandat du député est suspendu (c’est son suppléant qui occupe le poste). Il peut le récupérer quand il quitte le gouvernement, avec un délai d’un mois de « carence ».
Curieuse : Certains ministres sont-ils en danger aux législatives et courent-ils un risque important de quitter le gouvernement ?
Bruno Le Maire devra affronter un candidat LR, puisqu’il a été exclu. Sa circonscription est donc difficile. Mounir Mahjoubi défie Cambadélis dans l’est parisien, dans une circo traditionnellement dévolue au PS. Castaner devra batailler dans les Alpes-de-Haute-Provence. Pour Ferrand, les choses sont moins compliquées en Bretagne.
Adbuv : Jean-Yves Le Drian disposera-t-il d’un passe-droit pour son cumul à la tête de la Bretagne comme cela avait le cas sous Hollande ou devra-t-il réellement trancher entre le Quai d’Orsay et sa chère région ?
A priori non. Tous les ministres ont été priés de se mettre en réserve de leur exécutif local. Cela concerne Edouard Philippe (Le Havre), Gérald Darmanin (Tourcoing), François Bayrou (Pau), Gérard Collomb (Lyon) et donc Jean-Yves Le Drian (Bretagne).
JP : D’après vous, les propos anti-mariage gay de Darmanin peuvent-ils lui coûter sa place avant les législatives ?
Absolument pas. Les positions de Gérald Darmanin sur le mariage gay sont connues depuis longtemps. Ce n’est pas quelque chose qu’Emmanuel Macron découvre. Il l’a nommé en connaissance de cause.
Bryan : Que se passe-t-il pour les salariés des ministères ? Les équipes vont-elles être majoritairement recomposées avec l’arrivée de nouveaux ministres ou l’essentiel des personnes restent en place pour assurer une continuité sur le suivi des dossiers et le fonctionnement quotidien ?
Les cabinets sont entièrement recomposés (il arrive que certains passent cependant d’un cabinet à l’autre). En revanche, les personnels des ministères sont maintenus à leurs postes.