L’étrange conception du conflit d’intérêts de Richard Ferrand
L’étrange conception du conflit d’intérêts de Richard Ferrand
Par Alexandre Pouchard, Jérémie Baruch, Yann Bouchez, Maxime Vaudano, Anne Michel
Chargé de mission auprès des Mutuelles de Bretagne alors même qu’il était député du Finistère, Richard Ferrand était-il en situation de conflit d’intérêts ? Le fait que l’ancien parlementaire ait cosigné et défendu à la tribune entre 2012 et 2014 une proposition de loi avantageant sans conteste les mutuelles pourrait le laisser penser.
Le ministre de la cohésion des territoires s’en défend pourtant vigoureusement auprès du Monde :
« J’ai toujours tenu à conserver une activité professionnelle quels qu’aient été mes mandats (…). J’observe que des centaines de députés ou sénateurs conservent également et parfois pleinement leur activité professionnelle, ce qui me parait totalement bénéfique, par opposition à celles et ceux qui ne vivent que de la politique. »
Quid de la proposition de loi sur les mutuelles ? Après avoir rappelé qu’elle ne faisait que concrétiser une préconisation de la Cour des comptes et un engagement électoral de François Hollande, Richard Ferrand fait mine de s’interroger :
« Devais-je m’abstenir de défendre un principe au prétexte que je connais bien le sujet ? Demande-t-on par exemple à Monsieur Christian Jacob de ne pas intervenir sur les sujets agricoles en raison de son ancienne présidence du CNJA [le Cercle national des jeunes agriculteurs, poste qu’a occupé M. Jacob il y a 25 ans] ? Interdit-on aux députés qui sont médecins de voter le budget de la sécurité sociale ? Faut-il expressément empêcher les magistrats et les avocats de siéger à la commission des lois ? Je vous laisse le soin de répondre à ces questions. »
L’ancien pilier de la campagne d’Emmanuel Macron semble peu à l’aise avec la notion de conflits d’intérêts, formalisée pour la première fois dans la loi sur la transparence de 2013, qu’il a pourtant votée : celle-ci désigne « toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction ». « L’interférence peut être matérielle (une activité professionnelle spécialisée dans un certain secteur), géographique (les intérêts détenus dans une commune) ou temporelle (des intérêts passés) », précise la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) sur son site.
Une définition à laquelle ne semble pas non plus adhérer Benjamin Griveaux, le porte-parole du mouvement En marche !, qui est monté au créneau lundi 29 mai pour défendre Richard Ferrand :
« Grand diable, si l’on veut des élus compétents, qui aient des domaines d’expertise, un passé professionnel et ne soient pas simplement des professionnels de la politique, il est heureux d’avoir des gens qui aient exercé des fonctions et qui vont exprimer des votes sur des sujets qu’ils connaissent sans doute mieux que d’autres. Mais je fais confiance à la liberté de conscience de nos parlementaires. »
Reste à savoir si cette conception pourra s’accorder avec celle du garde des sceaux, François Bayrou, qui avait scellé son alliance avec Emmanuel Macron à la condition expresse qu’une grande loi sur la moralisation rende « impossible » et « sanctionne » tous les conflits d’intérêts, en faisant en sorte que « de très grandes entreprises ne puissent pas se payer ou appointer des responsables politiques pour rédiger des lois ou pour aller dans le sens de ce qu’ils souhaitent ».