Contrôles d’identité et fouilles en vogue sous l’état d’urgence
Contrôles d’identité et fouilles en vogue sous l’état d’urgence
Par Julia Pascual
La mesure a donné lieu à quelque 2 000 arrêtés préfectoraux en un an.
C’est aujourd’hui la mesure de l’état d’urgence la plus utilisée. Depuis près d’un an, quelque 2 000 arrêtés préfectoraux ont été pris autorisant, dans certaines zones, les forces de l’ordre à procéder à des contrôles d’identité, des fouilles de bagages et des visites de véhicules. L’état d’urgence confère ce pouvoir aux préfets depuis la loi de prorogation du 21 juillet 2016 qui a étoffé la palette d’outils de ce régime d’exception.
Passée presque inaperçue, cette mesure n’augure pas moins un réel changement sur la voie publique. Le projet de loi « renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme », présenté jeudi 22 juin en conseil des ministres pour permettre une « sortie maîtrisée » de l’état d’urgence, a d’ailleurs prévu de la pérenniser partiellement.
En dehors de l’état d’urgence, les contrôles d’identité doivent être autorisés par une réquisition judiciaire. Les forces de l’ordre peuvent agir d’initiative seulement dans certaines zones frontalières, en cas de suspicion d’une infraction ou de risque d’atteinte à l’ordre public. Quant aux fouilles de bagages et de véhicules, elles ne peuvent se faire hors réquisition judiciaire qu’en cas de risque d’atteinte grave à la sécurité, et avec l’accord de la personne.
Pendant l’état d’urgence, les préfets peuvent autoriser ces contrôles et ces fouilles quel que soit le comportement des personnes, pour vingt-quatre heures au plus. Ce pouvoir s’est déployé de façon diverse sur le territoire. Selon les chiffres compilés par l’Assemblée nationale en décembre 2016, quatre départements (Seine-et-Marne, Saône-et-Loire, Loiret, Nord) concentraient à eux seuls plus de 75 % des arrêtés de contrôles et de fouilles.
Depuis début juin, la préfecture du Loiret en a par exemple pris huit, pour sécuriser des événements comme la Fête de la musique ou la Fête de la cerise de Saint-Hilaire-Saint-Mesmin ou encore opérer des contrôles sur des péages autoroutiers car « le flux d’automobilistes relativement important pourrait être utilisé par des fanatiques religieux pour se rendre discrètement sur le territoire national ».
En Saône-et-Loire, plusieurs dizaines d’arrêtés ont aussi été pris en juin, aux abords des bureaux de vote lors des élections législatives, autour de la gare ou encore du Rallye des vins de Mâcon. L’Assemblée nationale note que, par endroits, « le caractère répétitif des arrêtés montre bien qu’ils ne relèvent plus d’une logique d’urgence et d’exception mais, en fait, se substituent aux mesures de droit commun ».
Inspections visuelles de véhicules
Pourtant, dans le contexte de menace terroriste, le ministère de la justice a encouragé les procureurs à intensifier leurs réquisitions. Sollicités, des parquets et préfectures indiquent une répartition informelle selon laquelle les premiers continueraient de prendre des réquisitions dans des zones sensibles ou pour lutter contre la délinquance, tandis que les seconds déploieraient leurs arrêtés sur des événements spécifiques en prévention du risque terroriste. Dans les faits, cette logique ne se vérifie pas toujours. Dans l’Yonne, des arrêtés ont été justifiés par des vols et des infractions à la législation sur les stupéfiants. En Seine-et-Marne, plus de cent arrêtés ont été pris autour de gares, sans être reliés à un quelconque événement.
A Paris, les premiers arrêtés ont visé les transports en commun franciliens après l’attentat du métro de Saint-Pétersbourg, le 3 avril. Depuis, ils ont été étendus à d’autres secteurs. La préfecture de police a pris 24 arrêtés en avril, 27 en mai et 17 jusqu’à ce jour en juin, en tenant compte « de l’actualité, de la fréquentation des lieux, des manifestations ou des rassemblements ». Les zones touristiques, événements sportifs, festifs ou culturels sont concernés, mais l’ont aussi été la manifestation commémorant la mort du militant antifasciste Clément Méric ou le rassemblement du groupuscule d’extrême droite GUD.
Le projet de loi antiterroriste bientôt discuté au Parlement prévoit que les préfets pourront, hors état d’urgence, instaurer des « périmètres de sécurité » autour d’un lieu ou d’un événement. Les palpations de sécurité, fouilles de bagages et inspections visuelles de véhicules y seront autorisées. Ces dernières seront soumises à l’accord de la personne qui, en cas de refus, n’aura pas accès à la zone. Les contrôles d’identité dans les zones frontalières seront aussi renforcés. Le Syndicat de la magistrature (gauche) dénonce un « glissement » vers l’autorité administrative du pouvoir de « réglementer la circulation des personnes dans l’espace public ».
Au contraire, le public se montrerait majoritairement réceptif. « Aujourd’hui, ce qui étonne les gens, c’est qu’il n’y ait pas de militaires dans la rue ou plus de contrôles aux abords des grands magasins, confirme Michel Delpuech, préfet de police de Paris. L’opinion a compris quel est le monde d’aujourd’hui. »