TV : « Cloud Atlas », un imbroglio spatio-temporel selon les Wachowski
TV : « Cloud Atlas », un imbroglio spatio-temporel selon les Wachowski
Par Jean-François Rauger
Notre choix TV du soir. Les créateurs de « Matrix » proposent de nouveau une expérience sensorielle inédite et mutante (sur HD1 à 21 heures).
Cloud Atlas - Official Trailer [HD]
Cloud Atlas est un objet monstrueux, hétéroclite, composé d’un ensemble d’éléments hétérogènes. Lana et Andy Wachowski, aidés par le réalisateur allemand Tom Tykwer, semblent renouer avec ce qui faisait la particularité de Matrix : la construction d’un objet hybride où le divertissement cherche à se marier avec l’abstraction philosophique, aussi rudimentaire soit-elle.
Adapté d’un roman du Britannique David Mitchell, CloudAtlas raconte six récits situés à des époques différentes, du XIXe siècle à un avenir lointain et post-apocalyptique, en passant par les années 1930 et 1970, par l’époque actuelle et des lendemains où règnent l’hyper-technologie et le clonage des êtres humains.
Vers 1850, un jeune homme de loi s’embarque sur un voilier et sauve un esclave noir en fuite. Dans les années 1930, un jeune homosexuel se met au service d’un grand musicien qui le fait chanter pour pouvoir s’attribuer sa composition. Dans les années 1970, une journaliste entreprend de dénoncer un scandale industriel. Aujourd’hui, un éditeur est placé dans une maison de retraite et tente de s’enfuir avec d’autres pensionnaires. Dans un futur relativement proche, une jeune femme clonée parvient à échapper à sa condition d’esclave et rejoint un groupe de rebelles. Quelques siècles plus tard, dans un monde revenu à l’âge de pierre, un homme guide une jeune femme vers un mystérieux sanctuaire caché.
Cloud Atlas - Directors Commentary Intro
Tous les récits se déroulent parallèlement, s’entremêlent progressivement. L’action s’accélère et les événements se précipitent tout autant que la durée de chaque fraction diminue. Quels liens rattachent ces différents espaces-temps ? Vers quelle vérité abstraite mène ce millefeuille narratif ? C’est dans la capacité de susciter ces interrogations-là, sans doute, que se situe la première qualité d’un film contraignant le spectateur à trouver des causalités cachées qui traverseraient les siècles. Les différentes histoires renvoient, par ailleurs, à des genres cinématographiques divers (le film historique, le film de dénonciation politique, la science-fiction à grand spectacle, la comédie, etc.), dont la juxtaposition questionne, évidemment, ces catégorisations.
Les comédiens principaux incarnent, par ailleurs, plusieurs personnages, d’histoire en histoire, affublés de postiches, numériques ou non. Un homme peut ainsi tenir le rôle d’une femme dans un autre récit et vice versa, produisant un perturbant effet de brouillage. Si le mot « genre » peut désigner à la fois un type établi de récits cinématographiques et l’identité sexuelle, on peut dire que CloudAtlas est un film transgenre dans tous les sens du terme, une œuvre mutante.
Tom Hanks dans « Cloud Atlas ». | WARNER BROS.
On peut certes constater l’inégale valeur cinématographique de chaque partie prise séparément, mais le coup de force des cinéastes réside dans cette manière d’atteindre, grâce à l’agencement de cet éclatement, une ampleur romanesque inédite et indiscutable.
Certes, les limites de CloudAtlas apparaîtront lorsque l’on découvrira, in fine, que tout ce dispositif narratif et dramaturgique complexe était mis au service d’une exaltation adolescente de la rébellion à travers les âges et de la liberté comme un absolu que rien ne saurait atteindre.
Cet humanisme n’est pas exempt de naïveté infantile. Une sensation qui se dévoile cruellement dans les derniers moments mais qui n’annule pas la force du film.
Cloud Atlas, de Lana et Andy Wachowski et Tom Tykwer. Avec Tom Hanks, Halle Berry, JimBroadbent (EU.-All., 2012, 180 min).