Réforme constitutionnelle en Mauritanie : « Un référendum inutile et dangereux »
Réforme constitutionnelle en Mauritanie : « Un référendum inutile et dangereux »
Le Monde.fr avec AFP
Le président Aziz s’apprête à diviser les Mauritaniens sur le changement du drapeau et autres menus détails, dénonce notre chroniqueur, en évitant les enjeux majeurs.
Dans l’un des Etats les plus pauvres au monde, le président mobilise les deniers publics pour un scrutin qui envisage quelques réformes institutionnelles cosmétiques, dont la suppression du Sénat et le changement de drapeau. L’idée du chef de l’Etat étant de rajouter deux bandes rouges aux symboles actuels afin de représenter « le sang versé par les ancêtres et le sang que les générations futures seraient prêtes à verser pour leur pays ». Sans commentaire.
Comment être d’accord avec ceux qui prétextent la pauvreté d’un pays pour ne pas entreprendre d’initiatives en vue de rendre plus performante ses institutions. L’argument consistant à dire « Pourquoi organiser un référendum alors que les gens ne mangent pas à leur faim ? » m’est insupportable. La démocratie, la vitalité et la sacralité des institutions en vue d’arriver à un Etat de droit ont ceci de supérieur qu’ils n’ont pas de prix mais ont un coût.
Une démarche cavalière
Dans le cas de la Mauritanie, l’obsession du président Aziz pour cette consultation électorale est inutile et dangereuse. Censé être garant de l’unité nationale, le chef de l’Etat contribue davantage à diviser les Mauritaniens sur de menus détails. D’ailleurs, la partie la plus signifiante de l’opposition mauritanienne appelle au boycottage du référendum, dont la tenue n’apportera aucune valeur ajoutée à ce pays exsangue et confronté à des défis politiques et sociaux majeurs.
Tout est mal fait dans cette convocation du corps électoral. Outre le débat sur la légalité de la procédure à travers le recours clivant à l’article 38 de la Constitution, le président mauritanien a fait preuve d’une démarche cavalière au mépris des règles élémentaires du dialogue politique qui régissent la vie démocratique. Le dédain qu’il adresse à son opposition est édifiant. Mais il fait écho à celui qu’il montre à la partie dissidente de sa majorité, notamment ces trente-trois sur cinquante-six sénateurs qui ont voté contre le projet de loi de modification de la Constitution. Tout ceci prouve une nouvelle fois la difficulté qu’éprouve cet ancien putschiste à se convertir à la démocratie et à ses exigences.
Si le président Aziz tient particulièrement à organiser ce scrutin, il est possible de lui donner mille et une idées plus utiles pour le devenir de la Mauritanie que le remplacement du Sénat par des conseils régionaux, la suppression de la Haute Cour de justice ou le changement d’hymne et de drapeau.
Les batailles les plus importantes pour la Mauritanie sont ailleurs. Elles sont par exemple dans la construction d’une nation inclusive dans laquelle, chacun, quelle que soit sa couleur de peau, pourra vivre pleinement sa citoyenneté. L’esclavage est encore une pratique courante dans le pays en dépit de son interdiction formelle. Il est urgent de mettre fin à cette barbarie réelle dans le pays, afin de respecter la simple expression de la dignité humaine.
Plaies béantes
Une autre idée à soumettre au général Aziz serait d’intégrer des questions comme le retour effectif des réfugiés négro-mauritaniens qui vivent pour certains dans des conditions insoutenables sur la partie sénégalaise de la vallée du fleuve Sénégal, frontière naturelle entre les deux pays.
On pourrait aussi suggérer au président mauritanien de réparer les crimes commis par l’Etat mauritanien, notamment contre les vingt-huit militaires noirs exécutés dans des conditions sordides dans la prison d’Inal en 1990. Le président Aziz pourrait aussi proposer l’abolition du délit de blasphème qui a conduit un jeune à la fleur de l’âge, Mohamed Ould Mkheitir, dans les couloirs de la mort.
Le référendum vraisemblablement se tiendra, avec la probabilité d’une victoire du camp présidentiel, mais les plaies du pays resteront béantes avec une forte polarisation des états-majors politiques. Quid du futur, surtout que la majorité brandit l’hypothèse d’un changement constitutionnel en vue de permettre au président actuel de briguer un troisième mandat ? La Mauritanie reste un pays préoccupant et la petite ambition que son leader nourrit pour elle est consternante.
Hamidou Anne est membre du cercle de réflexion L’Afrique des idées.