Au Japon, la mauvaise gestion des forêts aggrave le bilan des inondations
Au Japon, la mauvaise gestion des forêts aggrave le bilan des inondations
Par Philippe Pons (Tokyo, correspondant)
Les troncs d’arbres entraînés par les pluies diluviennes, qui ont causé 30 morts, ont fracassé des maisons et des ponts.
Des maisons s’effondrent dans la boue dans la région d’Asakura, dans le sud-ouest du Japon, le 7 juillet 2017. | Koji Harada / AP
Depuis plus d’une semaine, les inondations dans le nord du Kyushu, l’île la plus méridionale du Japon, ont pris des proportions dramatiques : 30 morts, une vingtaine de disparus, 400 000 personnes évacuées… Les dégâts dans la région d’Asakura (département de Fukuoka) sont considérables. Des pluies torrentielles ont provoqué des éboulements de terrains et des crues de rivières emportant tout sur leur passage.
La violence et la concentration de ce déluge, dans une région de trente kilomètres d’Est en Ouest et de quinze kilomètres du Nord au Sud, est une explication du caractère exceptionnel du désastre. En 2012, trois départements du Kyushu avaient déjà été victimes de précipitations diluviennes à peu près à la même époque, provoquant une trentaine de morts et des dégâts considérables.
Cependant, un autre facteur a aggravé l’effet dévastateur des précipitations : dans cette région aux petites montagnes couvertes de forêts, les troncs d’arbres morts ou abattus, et laissés sur place, ont été entraînés par les coulées de boue engendrées elles-mêmes par des éboulements de terrains. Ils ont fracassé les maisons et les ponts sur leur passage et bloqué les voies d’accès, racontent des témoins.
200 000 tonnes de troncs dans la baie de Subo
Les forêts de cèdres sont la richesse de la région. De grande hauteur, les troncs peuvent atteindre 50 à 60 centimètres de diamètre. Beaucoup d’arbres coupés sont laissés sur place et s’amoncellent en attendant d’être emportés. Les entreprises forestières viennent les chercher progressivement. Concurrencées par le bois importé, beaucoup d’entre elles sont en difficulté financière.
Des pompiers en action après les pluies diluviennes dans la préfecture de Fukuoka, le 7 juillet 2017. | AP
Un charpentier d’Asakura, Masaki Miki, cité par l’agence de presse Kyodo, critique les autorités pour ne pas avoir tiré les leçons des inondations de 2012 : « Déjà, les troncs coupés emportés par les coulées de boue ont été dévastateurs. » On dénombre plus de cinq cents troncs, représentant un volume de 300 000 mètres cubes et un poids de 200 000 tonnes, ont fini dans la baie de Subo. Ces grumes rendent encore plus difficiles les recherches des corps et le déblaiement des décombres.
La forêt couvre les deux tiers de l’archipel. Une densité exceptionnelle pour un pays industrialisé qu’explique son relief montagneux. Bien qu’elle soit la grande référence symbolique du rapport à la nature des Japonais, perçue comme un espace intermédiaire entre le sacré et le profane (des temples et sanctuaires shinto – un ensemble de croyances autochtones vénérant la nature – sont nichés dans des arbres) et bien que le bois soit le matériau essentiel de l’architecture traditionnelle, la forêt est désormais délaissée.
Victime de l’industrialisation à partir de la seconde moitié du XIXe siècle avec l’utilisation intensive du bois comme source d’énergie, la forêt avait diminué de moitié au lendemain de la défaite de 1945. La politique de reboisement décidée alors par les autorités a privilégié les conifères qui grandissent rapidement : en particulier, les cèdres du Japon (sugi) et les cyprès du Japon (hinoki), bois d’œuvre par excellence.
Capital forestier local peu exploité et mal entretenu
Mais ces plantations systématiques se sont avérées contre-productives : avec l’ouverture du marché à l’international dans les années 1960, l’industrie s’est détournée de la forêt japonaise pour importer de l’étranger à moindre coût. Alors qu’au milieu des années 1960, le pays était autosuffisant, il est aujourd’hui le plus gros importateur de bois, absorbant à lui seul un quart des exportations mondiales. Le capital forestier local est peu exploité, mal entretenu ni même vraiment géré à l’exception des parcelles dépendant des institutions religieuses.
Surtout, la surabondance des conifères (qui représentent désormais 40 % de la forêt japonaise) a bouleversé l’écosystème : en raison de l’insuffisance des feuillus, le sous-bois appauvri ne constitue plus « un barrage vert » et les éboulements sont devenus plus fréquents. La dépopulation des campagnes a accentué l’abandon de la ressource forestière. L’accident nucléaire de Fukushima, en mars 2011, a enfin affecté les forêts du nord du Honshu contaminées par la radioactivité pour des décennies.
Un court poème satyrique (senryu), publié dans la rubrique « Opinions des lecteurs » du quotidien Asahi, le 14 juillet, résume la triste situation de la forêt, étroitement liée à la montagne dans l’esprit des Japonais : « La montagne crie : prends soin de moi ! »