Violences policières aux Etats-Unis : faut-il généraliser les caméras individuelles ?
Violences policières aux Etats-Unis : faut-il généraliser les caméras individuelles ?
Par Béatrice Sclapari
La mort d’une Australienne, abattue par un policier, ravive le débat sur le port de caméras par les agents visant à documenter les interventions.
Un agent de la police de West Valley City (Utah) patrouille avec une caméra fixée à ses lunettes, en mars 2015. | GEORGE FREY / AFP
Le débat s’est rouvert aux Etats-Unis sur l’hypothèse d’obliger les forces de l’ordre à utiliser des caméras individuelles à chaque intervention, après la mort d’une Australienne à Minneapolis (Minnesota), abattue le 15 juillet par un policier qui, au moment du drame, n’avait pas activé son appareil.
Dans le cadre de la lutte contre la violence policière, qui a fait de nombreuses victimes – surtout des hommes noirs – ces dernières années, certains Etats ont en effet décidé d’inciter les policiers à fixer des caméras sur leur uniforme, bien que cet usage ne soit pas encore généralisé.
Dans certains cas, les images d’un policier tirant sur des citoyens, prises par des passants, par des caméras de surveillance ou par des caméras placées à l’intérieur des voitures de police, ont fait le tour du monde et soulevé l’indignation. Les manifestations du mouvement Black Lives Matter (« les vies noires comptent ») qui ont suivi ont persuadé les autorités de développer l’utilisation de caméras individuelles afin de responsabiliser les agents.
Aucune loi n’existant au niveau fédéral, chaque Etat – et département de police – a ses propres réglementations. Les gouvernements locaux déterminent ce qui doit être enregistré et ce qui peut être légalement caché au public. Ceci limite beaucoup la transparence attendue.
Balle à travers la vitre
Justine Ruszczyk, une Australienne de 40 ans qui résidait à Minneapolis depuis trois ans, avait appelé la police, le 15 juillet, pour dénoncer ce qu’elle pensait être une agression derrière sa maison. Deux officiers sont arrivés en voiture et l’un d’eux, Mohamed Noor, qui se trouvait sur le siège passager, a tiré une balle à travers la vitre du côté du conducteur, touchant la femme, qui s’approchait du véhicule, dans l’abdomen. Le médecin légiste affirme qu’elle était décédée avant l’arrivée de l’ambulance.
Même si le règlement du département de police de Minneapolis oblige ses 600 policiers à activer leur caméra individuelle avant « toute intervention liée à une activité criminelle », celles des deux officiers étaient éteintes au moment du drame. Ils ne les ont mises en service qu’après le coup de feu. La caméra dans la voiture, qui était allumée, n’a pas pu capter la scène, qui se déroulait sur le côté du véhicule. Les enquêteurs doivent encore déterminer si d’autres caméras aux alentours ont pu filmer la tragédie.
« Ces deux officiers devraient être punis pour la violation de l’article 4-223 sur l’usage des caméras individuelles. La vérité est maintenant beaucoup plus difficile à déterminer. Des pénalités devraient être prévues afin de s’assurer que l’article soit mieux appliqué », affirme l’American Civil Liberties Union. La maire de Minneapolis, Besty Hodges, a aussi déploré le manque d’images. M. Noor, resté silencieux face aux enquêteurs, n’a pas expliqué pourquoi son appareil était éteint, selon l’Agence des affaires criminelles (BCA) du Minnesota.
« La technologie n’est pas la panacée »
En 2015, l’administration Obama a financé 21 000 caméras individuelles, pour 20 millions de dollars (17 millions d’euros). Une étude de l’ONG de défense des droits humains Leadership Conference, en août 2016, constate que parmi les 68 départements de police des grandes villes des Etats-Unis, 43 disposent de programmes dédiés à l’utilisation de ces appareils.
Pourtant, les difficultés restent nombreuses. Beaucoup de policiers ne les activent pas pendant les interventions, et ne reçoivent pas de sanctions pour cela. En outre, dans la moitié des grandes villes où l’utilisation des caméras est obligatoire, les vidéos ne sont pas rendues publiques, selon cette ONG, favorisant encore plus l’impunité des agents.
« Les caméras individuelles sont souvent présentées comme la seule solution. La technologie a un rôle important dans la construction d’une confiance envers les policiers et de leur responsabilité, mais elle n’est pas la panacée, déclarait Barack Obama en 2015. Elles doivent être intégrées dans un changement culturel et juridique plus large, qui garantisse aussi le respect de la vie privée. »
« Agir d’abord, réfléchir ensuite »
Une étude conduite par l’université de Floride du Sud démontre certains effets positifs de l’usage des caméras. Mené pendant un an au département de police d’Orlando, le programme pilote a consisté à comparer le comportement de 46 policiers dotés de caméras corporelles avec celui de 43 autres qui n’en avaient pas.
Bilan : de mars 2014 à février 2015, le nombre d’incidents liés à l’usage de la force a chuté de 53 % pour les premiers. Les plaintes contre ces agents ont également baissé de 65 %. L’étude a aussi montré des réductions significatives du nombre de blessés, de citoyens mais aussi de policiers, quand une caméra se trouvait sur l’uniforme.
Richard Bennett, professeur de droit et de criminologie à l’American University, reconnaît que « la présence des caméras réduit la violence des agents ». Mais il regrette que les études existantes, comme celle de l’université de Floride du Sud, ne soient menées que dans un seul département de police. « Je pense qu’à terme, l’usage des caméras va devenir la règle », ajoute-t-il.
Mais selon Ilhan Omar, représentante démocrate du Minnesota, les caméras, même si elles sont utilisées correctement, ne changeraient pas le problème de fond : « La formation des policiers, de toutes les races, leur enseigne à agir d’abord, à réfléchir ensuite et à tout justifier par la peur. »