Au bord de la faillite, les Chorégies d’Orange en appellent à leurs tutelles
Au bord de la faillite, les Chorégies d’Orange en appellent à leurs tutelles
Par Marie-Aude Roux
Le festival lyrique le plus populaire de France est en déficit de 1,5 million d’euros.
« Un refinancement public est nécessaire », déclarait au Monde l’ancien directeur général des Chorégies d’Orange, Raymond Duffaut, an printemps 2016. Après quelque trente-cinq ans passés à la tête du festival lyrique le plus populaire et le plus ancien de l’Hexagone (il a été fondé en 1869), l’homme venait de présenter sa démission le 11 mars, soit près de deux ans avant la fin de son mandat. Un départ anticipé pour cause d’ingérence de la part de la municipalité d’Orange tenue depuis 1995 par Jacques Bompard, fondateur de la Ligue du Sud, un parti d’extrême droite, qui lui avait imposé la présidence d’une élue de la mairie, Marie-Thérèse Galmard, adjointe chargée de la vie sociale, suite au désistement de Thierry Mariani. Le député Les Républicains avait en effet démissionné en décembre 2015, manière de désavouer le plébiscite par la mairie de la candidature de Jean-Louis Grinda, metteur en scène et directeur de l’Opéra de Monte-Carlo, à la succession de Raymond Duffaut en 2017.
Les sommations du ministère de la culture, menaçant le retrait de ses propres subventions – à peine 6 % à 7 % du budget global des Chorégies qui tourne autour de 5,67 millions d’euros – avaient alors été appuyées par le président de région de l’époque, Christian Estrosi (Les Républicains). Les choses étaient rentrées dans l’ordre le 2 mai : en même temps que la nomination de Jean-Louis Grinda, le conseil d’administration des Chorégies avait élu une nouvelle présidente, Christine d’Ingrando, administratrice à la régie culturelle PACA (Provence-Alpes-Côte d’Azur), représentant depuis 2009 les adhérents de l’association des Chorégies au sein du conseil d’administration.
Cessation de paiement fin août
A sa prise de fonction anticipée en mai 2016, Jean-Louis Grinda n’ignore pas que le festival accuse un déficit cumulé de 1,2 million d’euros – dont 500 000 euros liés à l’annulation en 2013 du récital du ténor vedette, Roberto Alagna. Malgré une bonne édition 2015, à laquelle ont largement contribué les trois représentations du Carmen, de Bizet, avec Jonas Kaufmann, les résultats demeurent insuffisants.
Le déficit atteint aujourd’hui 1,5 million d’euros. Le 1er août, Jean-Louis Grinda a essuyé un refus du prêt de 900 000 euros sur sept ans qu’il était allé solliciter auprès des banques malgré une garantie à 80 % par l’Etat, la Région, le Département, la Ville et l’Ific (la banque de la culture). Les établissements financiers ont estimé que la manifestation étant sous-capitalisée et donc trop fragile pour se redresser, ils pourraient être accusés de soutien abusif. Le directeur a alors alerté une fois de plus ses tutelles, pointant que le festival, en cessation de paiement fin août, devrait mettre la clé sous la porte à la fin de l’édition 2017, qui se termine le 5 août avec Aïda, de Verdi.
Autofinancement autour de 85 %
Subventionnées à hauteur de 900 000 euros, les Chorégies apparaissent en effet sous-dotées : la contribution de la ville n’a pas évolué depuis 1995 – 152 450 euros annuels, plus la mise à disposition du Théâtre antique (et autres lieux de répétition) pour un montant estimé de 300 000 à 400 000 euros –, à quoi s’ajoutent 350 000 euros de l’Etat, 250 000 de la Région PACA, et 247 000 du Département du Vaucluse. De son côté, l’autofinancement semble avoir atteint ses limites : un taux record autour de 85 %. Avec près de 37 000 spectateurs cette année, les Chorégies enregistrent d’ailleurs une hausse de fréquentation de près de 23 % par rapport à 2016, un résultat dû à la baisse de 20 % des tarifs (sauf pour les quinze premiers rangs, plus confortablement munis de coussins).
Mais il faudrait 400 000 euros de plus pour la seule couverture des frais fixes. Un conseil d’administration de crise a donc eu lieu le 2 août en début d’après-midi. Quelques heures plus tard, le directeur des Chorégies se réjouissait du soutien massif de la ministre de la culture, Françoise Nyssen, et du président de région, Renaud Muselier : l’échelonnement de paiement et de charges sociales devrait permettre au festival de passer ce mauvais cap financier en attendant les résultats d’un audit commandité dès septembre auprès du préfet de région afin de décider d’un plan de restructuration de la dette sur sept ans.
En 2019, le festival lyrique des Chorégies d’Orange fêtera ses 150 ans. D’ici là, Jean-Louis Grinda entend lui insuffler un nouvel élan. C’est ainsi que l’édition 2018 proposera le rare Mefistofele, d’Arrigo Boito, créé en 1868 à la Scala de Milan, ainsi que le populaire Barbier de Séville, de Rossini, jamais donné à Orange. Quant à la danse, elle fera son grand retour au Théâtre antique avec La Flûte enchantée, du Béjart Ballet Lausanne.
Sur le Web : www.choregies.fr