Charlottesville : des internautes dévoilent l’identité des militants d’extrême droite
Charlottesville : des internautes dévoilent l’identité des militants d’extrême droite
Un compte Twitter suivi par plus de 260 000 personnes encourage les internautes à dénicher les identités de suprémacistes. Une pratique qui fait débat en ligne.
Sur les réseaux sociaux, des interautes tentent, à partir de photographies, de retrouver l’identité des militants ayant participé au rassemblement extrémiste de Charlottesville (Virginie). / MYKAL MCELDOWNEY / AP
« Vous me connaissez ? Vous êtes mon employeur ? Me voici à un rassemblement nazi à Charlottesville, Virginie. » Ce texte accompagne contre leur gré les photographies de plusieurs militants d’extrême droite, prises lors du rassemblement suprémaciste, samedi 12 août à Charlottesville, en Virginie, qui a mené à la mort d’une personne, renversée par un automobiliste qui a foncé dans une foule de contre-manifestants.
Depuis, l’affrontement se poursuit sur les réseaux sociaux, où de nombreux internautes ont décidé d’afficher publiquement les visages des participants à ce rassemblement. Leur but : découvrir l’identité des personnes sur les photos, et, une fois celle-ci obtenue, la rendre publique et la partager autant que possible sur les réseaux sociaux.
Le compte Twitter @YesYoureRacist (« oui tu es raciste ») est le fer de lance de cette opération. Suivi par plus de 260 000 personnes, il encourage les internautes à rechercher l’identité des manifestants et relaie les informations dont il dispose : « Si vous reconnaissez un des nazis qui a défilé à Charlottesville, envoyez-moi leurs noms/profils et je les rendrai célèbres », était écrit samedi sur la plate-forme. Certaines de ses publications dévoilant des noms ont été partagées des milliers de fois.
Licenciement et démenti en ligne
Et avec des conséquences. « Cole White, la première personne que j’ai exposée au grand jour, n’a plus de travail », se réjouit le propriétaire du compte@YesYoureRacist sur Twitter. La chaîne de restauration pour laquelle il travaillait, Top Dog, a confirmé cette information dans un message affiché sur la vitrine du restaurant où il officiait, à Berkeley, en Californie. « Les actes de ceux qui étaient à Charlottesville ne sont pas soutenus par Top Dog », pouvait-on lire.
Sans aller jusqu’au licenciement, d’autres personnes identifiées publiquement ont tenu à se justifier, comme l’étudiant du Nevada Peter Cvjetanovic, dont la photographie – où on le voit hurlant une torche à la main – et le nom ont fait le tour des réseaux sociaux dès samedi. « J’espère que les gens qui partagent la photo accepteront d’entendre que je ne suis pas le raciste enragé qu’ils voient sur cette photo, a-t-il déclaré à la radio Channel 2. Les nationalistes blancs ne sont pas tous haineux, nous voulons juste préserver ce que nous avons. Je suis venu à ce rassemblement pour faire passer le message que la culture blanche européenne a le droit d’être là, elle aussi, comme toute autre culture. »
Ces propos ont provoqué des moqueries de plusieurs internautes, raillant le fait qu’il ne se définisse pas comme raciste : « Ah. Bizarre. Parce que tu as voyagé du Nevada jusqu’en Virginie, allumé une torche et hurlé [des slogans] suprémacistes. Tu comprends pourquoi nous sommes confus, non ? »
Devant l’ampleur qu’a prise cette opération – et le compte@YesYoureRacist, qui a gagné des dizaines de milliers d’abonnés depuis samedi –, certains manifestants ont préféré se retirer des réseaux sociaux. Un homme identifié comme ayant participé à l’agression d’un homme noir à Charlottesville a visiblement fermé son compte Facebook depuis.
Le « doxxing », moyen « éthiquement discutable »
La pratique peut être assimilée au doxxing, qui consiste à dénicher des informations relatives à la vie privée d’une personne et à les afficher sur Internet afin de lui nuire. Ce qui n’a rien de nouveau : Anonymous a par exemple contribué faire connaître la pratique en publiant des informations sur des policiers, en 2011, et des membres du Ku Klux Klan en 2015. Le doxxing, qui est régulièrement l’outil de violentes campagnes de harcèlement ciblé en ligne, est aujourd’hui au cœur des débats.
La pratique est par exemple jugée « dangereuse » par un internaute, « comme tout système où l’on se fait justice soi-même ». « Le doxxing est éthiquement discutable, mais ça sera jamais aussi grave que ce que font les néonazis », estime un autre. Pour certains, il n’y a pas d’hésitation à avoir : « La violence et la honte sont des armes qu’ils utilisent depuis des décennies. Les utiliser contre eux est une réponse appropriée. (…) Doxxons-les tous. Qu’ils crèvent tous de honte. Qu’ils perdent leur taf. Rien ne les oblige à adhérer à un mouvement meurtrier. » Dans ce cas comme dans d’autres, l’identification erronée de personnes n’ayant rien à voir avec Charlottesville est aussi l’un des importants problèmes posés par cette pratique.
Mais peut-on vraiment parler de doxxing dans cette situation précise ? « Ce n’est pas du doxxing que d’identifier des personnes qui apparaissent en public à un ralliement et donnent des interviews sur leurs croyances », assure Dave Weigel, journaliste au Washington Post.
Et @YesYoureRacist prend bien soin de ne jamais franchir la ligne rouge : si les noms sont donnés, ce n’est pas le cas d’autres informations personnelles, comme l’adresse par exemple – contrairement à ce qui se fait souvent en cas de doxxing. « J’ai supprimé un tweet avec de potentielles informations personnelles. (…) Je ne voulais pas être banni ! », écrivait le propriétaire du compte, par exemple, samedi. Car les règles propres à Twitter ne tolèrent pas le doxxing : « Vous ne pouvez pas diffuser ni publier d’informations privées et confidentielles d’autres personnes, telles que leur numéro de carte de crédit, leur adresse postale ou leur numéro de Sécurité sociale ou de carte nationale d’identité. » Mais rien n’est précisé concernant le nom d’une personne.
Charlottesville : le site néonazi The Daily Stormer sous pression
L’entreprise américaine GoDaddy, qui gère des noms de domaine, a fait savoir lundi 14 août qu’elle allait cesser de fournir ses services au site néonazi The Daily Stormer. Dans un message publié sur Twitter, l’entreprise laisse vingt-quatre heures au site pour trouver un autre gestionnaire de noms de domaine, après quoi elle désactiverait DailyStormer.com. GoDaddy explique que ce site « viole [ses] conditions d’utilisation ». La veille, le site avait publié un article critiquant la jeune femme tuée lors du rassemblement d’extrême droite de Charlottesville, samedi.
Par ailleurs, un article publié sur le site affirme qu’« Anonymous a pris le contrôle du Daily Stormer » : « Nous voulons que vous sachiez, vous les nazis, que votre temps est compté », peut-on lire dans ce message. Mais le compte Twitter@YourAnonNews, qui relaie les opérations estampillées Anonymous, a fait part de son incrédulité : « Nous n’avons aucune confirmation qu’Anonymous est impliqué, écrit-il. On dirait plutôt un coup de com. »