TV : « Sigmaringen, le dernier refuge »
TV : « Sigmaringen, le dernier refuge »
Par Christine Rousseau
Notre choix du soir. Mêlant avec beaucoup d’habileté fiction et documentaire, Serge Moati conte les ultimes soubresauts de la collaboration (sur Arte à 20 h 50).
Sigmaringen, le dernier refuge - bande-annonce - ARTE
Durée : 00:31
A l’issue de six jours de combat, le 25 août 1944, la 2e DB du général Leclerc entrait dans Paris. Si les images de liesse montrant la foule agiter bouquets et drapeaux tricolores au passage des troupes ont maintes fois été montrées, moins connues sont celles du 20 août 1944 : jour où les Allemands poussèrent Pétain à quitter l’Hôtel du Parc, à Vichy.
Pris en tenailles au nord comme au sud – après les débarquements en Normandie (6 juin) et en Provence (15 août) –, le maréchal et son gouvernement prennent la route de l’exil. Direction : Sigmaringen, dans le sud de l’Allemagne.
Deux France se font face, de part et d’autre du Rhin. C’est là, dans « le château de la honte », que Serge Moati nous entraîne pour retracer de l’intérieur les ultimes soubresauts de la collaboration. Plus exactement ceux de la commission gouvernementale présidée par Fernand de Brinon, de septembre 1944 à avril 1945. Un gouvernement fantoche qui n’en prend pas moins ses aises dans la fastueuse demeure ancestrale des Hohenzollern, dont Hitler a chassé les occupants en quelques jours pour y installer les hommes de Vichy. Manière de signer sa rupture avec la noblesse après l’attentat manqué du 20 juillet 1944, perpétré contre lui notamment par le comte Claus von Stauffenberg.
Fernand de Brinon (Christophe Odent), Jean Luchaire (Thomas Chabrol), Joseph Darnand (Bernard Blancan) et Marcel Déat. / VICTOR MOATI
Logé au troisième et dernier étage qu’il ne quitte guère, Pétain, qui prépare son procès, a choisi de demeurer au-dessus de la mêlée. Et des discordes, nourries de haines recuites, qui agitent la commission de Brinon, au sein de laquelle figure la « fine fleur » de la collaboration : Joseph Darnand, chef de la Milice et secrétaire d’Etat à l’intérieur ; Marcel Déat, ministre du travail… sans travailleurs ; ou encore Jean Luchaire, en charge de l’information. Au cœur de ce nœud de vipères, un homme fait l’unanimité contre lui : Jacques Doriot. A l’écart de Sigmaringen où « l’on s’écharpe sur des chimères », le chef du Parti populaire français (PPF) imagine, sur les bords du lac de Constance, les contours d’un nouvel Etat populaire qu’il entend diriger.
Tragi-comédie hallucinante
Reste qu’aux yeux des Allemands Pétain demeure le dirigeant légitime d’un territoire circonscrit à la petite ville du Bade-Wurtemberg (l’un des Länder composant l’Allemagne), où vont affluer près de 2 500 miliciens, Waffen-SS, fonctionnaires et autres collaborateurs, dont le médecin et écrivain Louis-Ferdinand Céline, qui relatera son séjour à Sigmaringen dans D’un château l’autre (Gallimard, 1957).
Mais c’est un autre médecin – sans doute inspiré du témoignage de G.T. Schillemans, prisonnier sorti de son oflag pour être le médecin et conseiller personnel de Pétain – que Serge Moati a choisi pour nous plonger au cœur de cette sombre comédie du pouvoir, aussi tragique qu’hallucinante, notamment dans le jusqu’au-boutisme de ses acteurs, traitée sous la forme d’un docufiction remarquable en tout point. Qu’il s’agisse du choix des acteurs et de leur excellent jeu, ou de la qualité des intervenants. On soulignera surtout la parfaite fluidité d’une écriture et d’un montage qui intègrent, de manière singulière, à la reconstitution de ce théâtre d’ombres, les analyses des historiens, les témoignages des habitants, et les archives en noir et blanc, sans rien perdre du caractère étouffant, accablant de ce terrible huis clos.
Sigmaringen, le dernier refuge, de Serge Moati (Fr., 2015, 80 min).