LES CHOIX DE LA MATINALE

Au programme cette semaine : l’ombre de Jean-Luc Godard plane à la fois sur le film des frères Safdie, une sorte d’A bout de souffle halluciné et survolté dans l’envers du décor américain, avec Robert Pattinson, et sur le film de Michel Hazanavicius, un portrait en demi-teinte du cinéaste en enfant colérique qui terrorise son entourage au nom d’un idéal fourvoyé, avec Louis Garrel. Et cerise sur le gâteau, la sortie en version restaurée et en 3D du film culte de James Cameron, Terminator 2 (1991), avec Arnold Schwarzenegger

« A BOUT DE SOUFFLE » DANS L’ENVERS DU DÉCOR AMÉRICAIN : « Good Time », de Josh et Benny Safdie

GOOD TIME Trailer (2017)
Durée : 02:07

Good Time s’inscrit dans ce qui n’est pas un genre à part entière, mais une typologie : la fuite en avant avec déficient mental. Le cinéma hollywoodien a réalisé sur le sujet quelques films qui restent durablement en mémoire : Vol au-dessus d’un nid de coucou (1975), de Milos Forman, Birdy (1984), d’Alan Parker, Rain Man (1988), de Barry Levinson. Pour caractériser la version des frères Safdie, il faudrait imaginer qu’ils l’ont dirigée les doigts dans une prise de courant. Soit Nick, un grand gaillard rougeaud légèrement empêché. Soit Connie (Robert Pattinson), son frère impulsif qui l’aime d’un amour démesuré.

A la première séquence, Nick est engagé dans un dialogue lénifiant avec un psychiatre qui l’accueille dans son institution. A la deuxième séquence – sans transition autre que celle de Connie qui déboule comme un dingue dans la pièce et arrache son frère à l’emprise du médecin –, les frangins braquent une banque avec des stylos, se font illico courser par la police, qui met la main sur le pauvre Nick et le jette en prison, milieu qui ne lui réussira pas. La suite reste au niveau, on se croirait chez le jeune Godard, lâché le temps d’un trip dans l’envers du décor américain. Jacques Mandelbaum

Film américain de Josh et Benny Safdie. Avec Robert Pattinson, Benny Safdie, Jennifer Jason Leigh (1 h 40).

PASTICHE DE GODARD EN SALE GOSSE : « Le Redoutable », de Michel Hazanavicius

LE REDOUTABLE - Bande-annonce officielle (2017)
Durée : 01:47

De la même manière qu’il prend le nom d’un cinéaste pour celui d’un sous-marin, Le Redoutable, hésitant entre le pastiche et le drame sentimental, le règlement de comptes et la nostalgie, n’est pas un film facile à circonscrire. Fidèle à une manière qui lui a réussi (d’OSS 117 à The Artist), Michel Hazanavicius s’y repose sur un matériau préétabli pour le démarquer, le contrefaire, le styliser. C’est un roman récent d’Anne Wiazemsky, ex-femme du cinéaste Jean-Luc Godard, qui lui sert ici d’épure. Un an après (Gallimard, 2015) raconte l’inexorable rupture du couple fraîchement uni au diapason des événements de Mai 68.

Le réalisateur restitue cette fin agitée des sixties avec une légèreté pop, poussant l’art du clin d’œil jusqu’à reproduire certains effets de style godardiens dans sa mise en scène conjuguée d’un amour qui se délite et d’une société qui se fissure. Le Redoutable brosse surtout, avec Louis Garrel dans le rôle-titre, le portrait d’un enfant colérique qui terrorise son entourage au nom d’un idéal fourvoyé, en même temps que celui d’un artiste qui tourne le dos à son public. Il n’est pas certain, toutefois, que ce procès rende complètement justice à la vérité. J. M.

Film français de Michel Hazanavicius. Avec Louis Garrel, Stacy Martin, Bérénice Bejo, Micha Lescot (1 h 42).

« HASTA LA VISTA BABY », LE RETOUR : « Terminator 2 » (3D), de James Cameron

TERMINATOR 2 - New Trailer - Official (2015)
Durée : 02:05

Terminator 2, qui ressort aujourd’hui en salle dans une version restaurée et convertie en 3D, faisait basculer en 1991 le cinéma dans une ère nouvelle dont James Cameron allait devenir le grand manitou, ère numérique fluide dans laquelle les images se sont défaites de leurs liens avec la réalité. A la brutalité industrielle très « années 1980 » du premier volet, le deuxième opposait une texture à la fois froide et sucrée qui s’apprêtait à engloutir tout le cinéma hollywoodien, ouvrant la voie aux blockbusters hors sol qui saturent aujourd’hui les écrans du monde entier.

Le visage glabre, terriblement inexpressif sous ses Ray-Ban miroir, moulé dans son uniforme de flic de la route impeccable, le T-1000 est envoyé sur Terre pour tuer John Connor l’année de ses 10 ans. Reprogrammé depuis le futur par John Connor pour se protéger lui-même, un vieux Terminator (Arnold Schwarzenegger) lui emboîte le pas.

Précurseur sur le plan visuel, le film témoigne d’une formidable prescience historique. Alors que l’entreprise d’armement russe Kalachnikov a présenté au monde sa nouvelle génération de robots armés, que les grandes puissances sont de plus en plus nombreuses à investir dans des programmes de recherche et développement d’unités de combat robotisées, son scénario cauchemardesque paraît moins allégorique en 2017 qu’au moment de sa sortie.

Plus angoissant, en un sens. Même si l’angoisse se dissout rapidement dans un propos humaniste optimiste, dans son florilège de répliques doudous (« Hasta la vista baby »…) et plus encore dans la charge affective dont sont porteurs ses trois personnages principaux, Sainte Famille des temps modernes sacrifiée pour le salut de l’humanité. Isabelle Regnier

Film américain de James Cameron (1991). Avec Arnold Schwarzenegger, Linda Hamilton, Edward Furlong (2 h 15).